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n’a cessé d’osciller entre le sud et le sud-ouest jusqu’en l’année 1827. Alors, à la suite d’une violente tempête, cette ancienne passe s’est graduellement oblitérée, tandis qu’un nouveau chenal s’ouvrait au nord de l’entrée, non loin du cap Ferret et sur l’emplacement d’une autre passe déjà comblée. Actuellement la barre la plus profonde se reporte peu à peu vers l’ouest. L’étude comparative de toutes les modifications accomplies depuis un siècle dans le régime de la grande passe semble prouver que sous l’action de la houle du nord-ouest l’ouverture tend naturellement à se déplacer d’année en année vers le sud pour longer la rive orientale jusqu’au moment où des tempêtes exceptionnelles et de grands apports de sable contrarient la direction du courant et le repoussent vers le nord.

Aux déplacemens de la passe correspondent les changemens des rivages. Les flots et les vents modifient sans cesse la forme de la côte, et souvent un petit nombre d’années suffit pour donner un aspect tout nouveau à l’ensemble du littoral. Ainsi le cap Ferret, cette même pointe qui, sous le nom de Curianum promontorium, se trouvait peut-être du temps des Romains directement à l’ouest de la baie, ne cesse de changer les courbes de sa plage, et depuis un siècle, c’est par centaines de mètres et par kilomètres qu’il faut évaluer ses mouvemens alternatifs d’empiétement et de recul. En 1768, l’extrémité méridionale du cap était située à plus de 4 kilomètres au nord-ouest de l’endroit qu’elle occupe aujourd’hui. Pendant la fin du XVIIIe siècle et au commencement du nôtre, les vents de la région du nord, qui soufflent dans ces parages plus fréquemment que les autres courans atmosphériques[1]), ont fait avancer chaque année les dunes du promontoire dans la direction du sud, tandis que la houle du large, obéissant à la même impulsion, ajoutait sans cesse à la pointe de nouvelles masses de sable. En moins d’un demi-siècle, le cap se prolongea ainsi de 6 kilomètres vers le sud-est, avec une vitesse moyenne de 127 mètres par an ou d’un pied par jour. La pointe croissait pour ainsi dire à vue d’œil ; mais en 1837, la passe ayant brusquement changé de direction et s’étant portée vers le nord, le courant de marée se mit à ronger la péninsule et la fit graduellement reculer vers le nord-ouest. En 1854, l’extrémité du cap avait rétrogradé de 1,800 mètres : maintenant on la dit à peu près stationnaire ; mais si le chenal se déplace vers le sud, il n’est pas douteux que la pointe du cap ne recommence à empiéter sur la mer dans la même direction.

  1. Les vents de la région du nord soufflent, en moyenne cent quatre-vingt-cinq jours, c’est-à-dire exactement une moitié de l’année. Les vents de l’est, de l’ouest et de la région du sud règnent pendant l’autre moitié.