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faudrait pour atteindre Royan ou la plage de Soulac. Pendant les jours de fête, les Bordelais se rendent souvent par centaines à Arcachon afin de s’y reposer quelques heures, et maintenant on parle d’organiser des trains spéciaux pour les personnes qui désirent passer leur soirée au casino ou sur la plage des bains. Déjà le nombre des visiteurs d’un jour est sextuple de celui des baigneurs qui résident dans la ville pendant une ou plusieurs semaines[1].

La prospérité d’Arcachon se rattache d’ailleurs à une loi sociale dont la mise en pratique était jadis entravée par la misère et la difficulté des communications, mais qui, grâce aux chemins de fer et aux progrès du bien-être général, approche d’une manière toujours plus complète de sa réalisation définitive. La vie normale de l’homme se compose d’une succession de contrastes. Après le travail pénible dans la cité bruyante, il lui faut le repos à la campagne ; après la vue des hautes maisons et des rues étroites, il lui faut l’aspect de la mer ou des grands bois ; après la société des gens d’affaire ou des compagnons de labeur, il lui faut celle des amis de plaisir et quelquefois les promenades solitaires dans la nature vierge des bruits humains. L’aggravation continuelle du travail accompli par les hommes de notre époque, la tension de plus en plus énergique de toutes les forces de l’esprit et du corps, rendent le besoin périodique de déplacement et de repos d’autant plus impérieux. L’organisme de la société ne peut donc se développer d’une manière satisfaisante, si des villes de plaisir et de nonchaloir, à population plus ou moins nomade, ne font pas équilibre aux grandes cités où les hommes s’agitent et bourdonnent dans une incessante activité. Tous ceux qui travaillent par le bras et par la pensée n’ont pas encore le bonheur de pouvoir retremper ainsi leurs forces et leur courage dans la vivifiante nature, et par une singulière ironie du sort on rencontre souvent parmi les habitués des villes de repos des gens paresseux et inutiles qui ne savent où promener leur ennui. Quoi qu’il en soit, le développement des villes du littoral ou des montagnes qu’on visite en foule pendant la belle saison est lié d’une manière intime à la prospérité des grands centres industriels ou commerciaux. C’est Bordeaux qui a fait Arcachon ; c’est encore Bordeaux qui lui donnera plus tard une importance bien plus grande, lorsque les progrès de la science et de

  1. La population sédentaire de la ville s’élève à 1,000 habitans a peine ; mais un recensement local nous apprend que, pendant la saison de 1862,10,402 personnes ont séjourné un mois en moyenne sur la plage d’Arcachon. Pendant la même saison, tous les convois du chemin de fer ont transporté de Bordeaux à Arcachon plus de 60,000 voyageurs, qui pour la plupart voulaient passer seulement un jour ou quelques heures sur le bord de la mer. En 1863, la foule s’est encore accrue.