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ment. Faute de comprendre le point de vue des savans, ils argumentent contre le matérialisme, le spiritualisme, le panthéisme, etc. ; ils fabriquent des définitions et en déduisent des conséquences pour les combattre. Il est plus d’un philosophe qui crée des chimères pour avoir le mérite de les dissiper, sans s’apercevoir que le progrès de l’esprit humain a changé les pôles de la démonstration, et qu’il s’escrime contre ses propres fantômes dans l’arène solitaire de la logique abstraite. Tous ces procédés sont précisément l’opposé de la philosophie expérimentale, qui déclare toute définition logique du réel impossible, et qui repousse toute déduction absolue et à priori.

En résumé, la science idéale reprend les problèmes de l’ancienne métaphysique au point de vue des existences réelles, et par une méthode empruntée à la science positive ; mais elle ne peut arriver à la même certitude. Si elle parvient à certains grands traits généraux tirés de la connaissance de la nature humaine et du monde extérieur, elle assemble ces traits par des liens individuels. À côté des faits démontrés, la fantaisie tient et tiendra toujours ici la part la plus large. La même chose arrivait dans les anciens systèmes ; seulement on exposait à priori et comme les résultats nécessaires du raisonnement ce même assemblage de réalité et d’imagination que nous devons désormais présenter sous son véritable caractère.

Vous avez exposé votre manière de comprendre le système général des choses en vous appuyant sur l’ensemble des faits que vous connaissez, et en achevant la construction à votre point de vue personnel. Peut-être aussi composerai-je un jour mon De naturâ rerum, qui, malgré notre accord sur la méthode, différera sans doute à quelques égards du vôtre : aujourd’hui j’ai préféré mettre en évidence le caractère de la méthode nouvelle, dire en quoi elle diffère de la méthode ancienne, et montrer comment, à côté de la science positive et universelle, qui s’impose par sa certitude propre, puisqu’elle n’affirme que des réalités observables, on peut élever la science idéale, tout aussi nécessaire que la science positive, mais dont les solutions, au lieu d’être imposées et dogmatiques comme autrefois, ont désormais pour principal fondement les opinions individuelles et la liberté.


M. Berthelot.