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apparue avec la race humaine : celle-ci a introduit dans les choses un élément nouveau et changé le cours des fatalités naturelles. À ce point de vue, l’histoire forme parmi les sciences un groupe à part. Malheureusement les lois de l’histoire sont plus difficiles à découvrir que celles du monde physique, parce que dans l’histoire l’expérimentation n’intervient guère et que l’observation est toujours incomplète. Jamais nous ne pourrons connaître un passé, que nous ne pouvons reconstruire pour le faire apparaître encore une fois devant nos yeux, avec la même certitude qu’une série de phénomènes physiques. Vous savez mieux que personne par quels merveilleux artifices de divination, appuyés sur les indices les plus divers, l’historien supplée à cette éternelle impuissance, et reconstruit, en partie par les faits, en partie par l’imagination, un monde qu’il n’a pas connu, que personne ne reverra jamais.

Parmi les résultats généraux qui sortent de l’étude de l’histoire, il en est un fondamental au point de vue philosophique : c’est le fait du progrès incessant des sociétés humaines, progrès dans la science, progrès dans les conditions matérielles d’existence, progrès dans la moralité, tous trois corrélatifs. Si l’on compare la condition des masses, esclaves dans l’antiquité, serves dans le moyen âge, aujourd’hui livrées à leur propre liberté sous la seule condition d’un travail volontaire, on reconnaît là une évolution manifestement progressive. En s’attachant aux grandes périodes, on voit clairement que le rôle de l’erreur et de la méchanceté décroît à proportion que l’on s’avance dans l’histoire du monde. Les sociétés deviennent de plus en plus policées, et j’oserai dire de plus en plus vertueuses. La somme du bien va toujours en augmentant, et la somme du mal en diminuant, à mesure que la somme de vérité augmente et que l’ignorance diminue dans l’humanité. C’est ainsi que la notion du progrès s’est dégagée comme un résultat à posteriori des études historiques.

Enfin au sommet de la pyramide scientifique viennent se placer les grands sentimens moraux de l’humanité, c’est-à-dire le sentiment du beau, celui du vrai et celui du bien, dont l’ensemble constitue pour nous l’idéal. Ces sentimens sont des faits révélés par l’étude de la nature humaine : derrière le vrai, le beau, le bien, l’humanité a toujours senti, sans la connaître, qu’il existe une réalité souveraine dans laquelle réside cet idéal, c’est-à-dire Dieu, le centre et l’unité mystérieuse et inaccessible vers laquelle converge l’ordre universel. Le sentiment seul peut nous y conduire ; ses aspirations sont légitimes, pourvu qu’il ne sorte pas de son domaine avec la prétention de se traduire par des énoncés dogmatiques et à priori dans la région des faits positifs.