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persistèrent que pour demeurer dans l’histoire l’éclatante condamnation de la conduite. Les fautes de la constituante n’enlèvent rien cependant à l’autorité de ses maximes, et pour peu qu’on sache séparer celles-ci des formes dont les revêtit une inexpérience alors générale, on arrive à reconnaître qu’il n’est aucune idée féconde admise depuis par le sentiment public dont cette grande assemblée n’ait eu l’intuition prématurée.

En droit politique, elle a défini la loi l’expression de la volonté générale, et proclamé le droit pour tous les citoyens de concourir à la formation de cette volonté par le vote de leurs représentans. On sait que la législation qui présida successivement à l’élection de la constituante, de l’assemblée législative et de la convention s’inspira de ce principe, qui prévalut, avec des modifications secondaires, jusqu’à l’octroi de la charte de 1814. Cette législation attribuait le droit de suffrage à tous les citoyens actifs, c’est-à-dire à tous ceux qui n’étaient ni serviteurs à gages ni mendians, et remettait l’élection politique à des électeurs d’un degré supérieur choisis par ceux du premier dans la proportion d’un pour cent parmi les propriétaires d’un bien de la valeur de deux cents journées de travail[1].

En droit administratif, la constituante ne sépara jamais la liberté municipale de la liberté politique, ni la gestion des affaires locales de la conduite des grands intérêts nationaux. Si elle découpa la France en cases d’échiquier pour constituer les départemens et les districts, c’est qu’il fallait faire table rase, afin d’amener les pays d’états et les généralités à vivre sous une législation commune. Comment méconnaître les incompatibilités profondes entretenues entre toutes les provinces par l’esprit inquiet des parlemens, non moins hostiles à la liberté qu’au pouvoir, et qui, vers la fin du XVIIIe siècle, avaient éteint presque partout jusqu’au dernier souffle de la vie municipale? Ajoutons, pour expliquer sans l’excuser le caractère beaucoup trop radical de cette transformation, que ces grands corps, qui venaient, sous le récent ministère de Turgot, de se montrer les ennemis implacables des réformes même les plus nécessaires, auraient opposé à l’action de l’assemblée des résistances peut-être invincibles, si leur puissance mal définie n’avait disparu dans le morcellement général du territoire.

En droit constitutionnel, les dix-sept articles inscrits en tête de l’acte fondamental sous le titre fameux de déclaration des droits constataient l’esprit sincèrement libéral qui animait alors la nation, et ne laissaient aucun doute sur sa volonté formelle de restreindre la sphère des droits de l’état en élargissant successivement celle des

  1. Constitution du 3 septembre 1791, titre III, sect. II.