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sciences mathématiques entretenait cette illusion. À l’aide de quelques axiomes tirés soit de l’esprit humain, soit de l’observation, et en procédant uniquement par voie de raisonnement, la géométrie avait commencé, dès le temps des Grecs, à élever ce merveilleux édifice, qui a subsisté et subsistera toujours sans aucun changement essentiel. La logique règne ici en souveraine, mais c’est dans le monde des abstractions. Les déductions mathématiques ne sont certaines que dans leur ordre même ; elles n’ont aucune existence effective en dehors de la logique. Si on les applique à l’ordre des réalités, où elles constituent un instrument puissant, elles tombent aussitôt sous la condition commune, c’est-à-dire que les prémisses doivent être tirées de l’observation, et que la conclusion doit être contrôlée par cette même observation ; mais le vrai caractère de ces applications ne fut pas reconnu d’abord, et l’on a cru en général, jusque dans les temps modernes, pouvoir construire le système du monde par voie de déduction et à l’image de la géométrie.

Au commencement du xviie siècle, le changement de méthode s’opère d’une manière décisive dans les travaux de Galilée et des académiciens de Florence. Ce sont les véritables ancêtres de la science positive : ils ont posé les premières assises de l’édifice qui depuis n’a pas cessé de s’élever. Le xviiie siècle a vu le triomphe de la nouvelle méthode : des sciences physiques, où elle était d’abord renfermée, il l’a transportée dans les sciences politiques, économiques, et jusque dans le monde moral. Diriger la société conformément aux principes de la science et de la raison, tel a été le but final du xviiie siècle. L’organisation primitive de l’Institut est là pour en témoigner. Mais l’application de la science aux choses morales réclame une attention particulière, car cette extension universelle de la méthode positive est décisive dans l’histoire de l’humanité.

Jusqu’ici j’ai parlé surtout des sciences physiques, et j’ai dit que l’on ne saurait arriver à la connaissance des choses autrement que par l’observation directe. Ceci est vrai pour le monde des êtres vivans comme pour celui des êtres inorganiques, pour le monde moral comme pour le monde physique.

Dans l’ordre moral, comme dans l’ordre matériel, il s’agit d’abord d’établir les faits et de les contrôler par l’observation, puis de les enchaîner en s’appuyant sans cesse sur cette même observation. Tout raisonnement qui tend à les déduire à priori de quelque axiome abstrait est chimérique ; tout raisonnement qui tend à opposer les unes aux autres des vérités de fait, et à en détruire quelques-unes en vertu du principe logique de contradiction, est également chimérique. C’est l’observation des phénomènes du monde moral, révélés soit par la psychologie, soit par l’histoire et l’écono-