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Il est vrai que les mineurs ont recours, de leur côté, aux mêmes moyens pour se procurer les habits du dimanche. En Cornouaille, le dimanche est aux jours de la semaine ce qu’est aux pantomimes anglaises la scène finale de la transformation. Vous ne reconnaîtriez plus dès le matin la population ordinaire des mineurs, larves sous terre pendant la semaine, papillons au soleil du sabbat. Les hommes ont ce jour-là des habits noirs, leurs femmes des robes de soie et des chapeaux à fleurs. Après tout, cette tendance est-elle blâmable ? L’élégance étant un des fruits de la civilisation, tout le monde veut y atteindre, comme au signe extérieur d’une vie honorable et laborieuse. Les Anglais ne comprennent guère que l’égalité par en haut, l’égalité qui aspire. À celle-là, ils sacrifient beaucoup ; aussi, malgré de profondes différences de rang et de fortune, la Grande-Bretagne est-elle de toutes les nations celle où le costume se montre le plus uniforme et se rapproche le plus du luxe.

Les mines de la Cornouaille sont pour le royaume-uni une source toujours renaissante de richesses. Les Anglais attribuent ces richesses à la nature du sous-sol, mais aussi en grande partie au système de libre exploitation par les compagnies. Ils ne professent, je dois le déclarer, qu’une estime médiocre pour notre administration française des mines, toute chargée de règlemens et de lisières. Ce n’est point qu’ils ne reconnaissent beaucoup de science et de talent à nos élèves de l’École des mines, mais ils accusent l’état de trop intervenir et d’exercer ainsi une pression funeste sur l’esprit d’initiative et sur les ressources morales du pays dans l’exécution des travaux. Notre belle organisation, avec le service ordinaire, le service extraordinaire et le service détaché ne les tente nullement. On voit trop, disent-ils encore, au-dessus de tous ces rouages la main du pouvoir ; on ne distingue point assez l’action des individus, ni la force impulsive des capitaux associés. Que voulez-vous ? ces malheureux Anglais n’entendent rien aux bienfaits d’un gouvernement paternel. Se croyant assez grands pour traiter eux-mêmes leurs affaires, ils ont écarté la protection de l’état, et, mettant vigoureusement la main à l’œuvre, ils ont forcé les entrailles de la terre à les enrichir. Si l’on jugeait des deux systèmes par les conséquences, comme l’Évangile nous recommande de juger l’arbre aux fruits, on n’hésiterait point à se prononcer pour le dernier. Le self government appliqué à l’industrie des mines a produit en Cornouaille des fortunes auxquelles on ne peut rien comparer ; il donne du travail à quinze ou vingt mille ouvriers, et d’une pointe de terre à laquelle la nature avait beaucoup refusé, il a fait une corne d’abondance pour la Grande-Bretagne.


ALPHONSE ESQUIROS.