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citoyens les plus éclairés pour agens et pour contrôleurs, — sur ces deux bases s’éleva l’œuvre fondée par nos devanciers et continuée par nous-mêmes. S’ils rencontrèrent devant eux beaucoup de difficultés qui nous sont épargnées, ils n’eurent jamais à défendre l’intégrité de leur pensée contre ceux qui semblent aujourd’hui vouloir l’embrasser pour l’étouffer. On n’estimait pas possible, aux premiers temps de la révolution, de diviser les termes moralement inséparables du même problème en appliquant l’égalité dans l’ordre civil sans la liberté dans l’ordre politique. Nul ne songeait à constituer une grande démocratie sur une sorte de dictature populaire en refusant à la société ainsi façonnée tout moyen pour se hiérarchiser elle-même par l’autorité des lumières, le prestige naturel des grands services et des grandes renommées. Ce n’était pas afin de substituer au régime de Versailles celui de Constantinople que la France prodiguait alors son âme et son sang.

On calomnie dans sa tombe cette noble génération, lorsqu’on laisse entendre qu’elle aurait fait bon marché de l’intervention du pays dans ses propres affaires, si l’on avait concédé tout d’abord à sa vanité l’abolition des privilèges qui séparaient les diverses classes de citoyens. La nuit du 4 août ne termina point la révolution, quoiqu’une heure d’entraînement, digne de tous les respects de l’histoire, eût renversé du même coup, avec les anciennes barrières entre les trois ordres, les distinctions les plus naturelles entre les familles et les particuliers. Parce que MM. de Montmorency avaient consenti à s’appeler MM. Bouchard, et que Louis XVI avait rendu hommage à la souveraineté nationale, personne dans l’assemblée constituante n’imagina possible de remettre sans contrôle le gouvernement de la France au royal représentant qui reconnaissait tenir de la nation son titre et sa puissance. Avec quelle indignation le pays n’aurait-il pas accueilli l’idée de faire suivre la proclamation de sa propre souveraineté de celle de son abdication! Ces temps orageux furent féconds en grands crimes; mais la honte de ressusciter les maximes qui rencontraient faveur sous Tibère leur a été épargnée. Il me semble entendre Mirabeau et Barnave faisant rentrer sous terre les théories d’un certain césarisme. Je crois voir ces illustres morts, sans en séparer ni les Mounier, ni les Lally, ni les Cazalès, se soulevant à la seule pensée d’assigner la date la plus honteuse de l’histoire pour le terme définitif du grand mouvement dont ils furent les victimes, sans en avoir jamais été les calomniateurs. Aux assertions émises de notre temps par quelques publicistes de la démocratie autoritaire (c’est ainsi, je crois, qu’ils se qualifient), ils auraient tous répondu qu’en affrontant la tempête où la plupart d’entre eux laissèrent leur vie, ils aspiraient surtout à