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en moyenne au-delà de quarante ans. Le vicaire de Saint-Just, M. Hadow, me résumait ainsi le mélancolique résultat de ses observations et de son expérience : « J’ai vu, me disait-il, beaucoup de veuves parmi les femmes de mineurs ; mais parmi eux je n’ai jamais vu un homme veuf. » Ceux qui n’ont point été tués par des accidens périssent d’épuisement et d’excès de travail : la roche est si dure et les échelles sont si longues ! Ce qu’il y a d’admirable est le sang-froid stoïque avec lequel ils envisagent leur sort. La Cornouaille est fière et avec raison de ses mineurs. Qui dira jamais ce que l’Angleterre doit à ces hommes ? Ils enfantent des richesses, et ils jouissent à peine du nécessaire.

Parmi les mineurs, les uns travaillent à la pièce, les autres à ce qu’on appelle tribute. Il nous faut expliquer le sens de ces deux mots. Quand on ouvre une mine, les travaux s’exécutent tous à la pièce, ce qui veut dire à tant par toise. Plus tard, quand la mine est arrivée à l’état d’exploitation, les mêmes arrangemens se continuent ; mais il se présente aussi un autre mode de rémunération qui constitue un véritable progrès sur le système habituel des salaires. À côté des ouvriers à la tâche, appelés ici tutmen, il y a les tributers. Ces derniers n’ont point du tout une règle de paiement fixe, ils entreprennent à leurs risques et périls. L’intérieur de la mine se trouve alors ouvert à l’inspection de tous les mineurs qui vivent dans la localité, et chaque compartiment ou pitch est adjugé par voie d’enchères à deux ou à quatre hommes. Cet arrangement n’est d’ailleurs que pour deux mois, et à l’expiration de ce terme les travaux se rouvrent à la concurrence. La raison d’un bail si court est dans l’incertitude qu’offrent de telles entreprises. Les filons de métal paraissent et disparaissent. Ils ressemblent, comme me disait un savant ingénieur des mines de la Cornouaille, à ces veines noires qu’on voit courir sur le marbre et qui s’évanouissent tout à coup. Qui sait à quelle profondeur et dans quelle direction il faut les poursuivre ? La nature et la densité de la roche changent aussi de distance en distance. Il y a donc là un ensemble de chances qui défient tous les calculs. Le tributer peut fouiller pendant des mois sans trouver de métal, tandis qu’il peut avoir le bonheur de tomber au bout de quelques jours sur une veine très riche. D’autres fois encore un filon très riche à l’origine s’appauvrit soudainement, ou bien il prend, comme on dit ici, « le mors aux dents, » c’est-à-dire qu’il se rompt et se cabre dans l’intérieur de la roche. Il en résulte que les gains des tributers se trouvent soumis aux variations les plus étranges, depuis 1 shilling jusqu’à 200 et même 300 livres sterling par mois. Je donne évidemment les deux extrémités de l’échelle, mais les degrés n’en sont pas moins très inégaux. La part du tributer sur la quantité de minerai qu’il brise diffère aussi considérablement