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nourrir un cochon, de payer le loyer de la chaumière et d’élever même quelques volailles. La famille, plus ou moins dispersée pendant la semaine, ne se réunit guère que le samedi soir et le dimanche ; j’ai vainement cherché, même alors, ces scènes de joie et de bonheur domestique si volontiers décrites par les poètes anglais. Les paysans parlent peu d’ordinaire, et il est assez difficile de deviner la raison de ce silence qui ressemble quelquefois à de la froideur. Est-ce indifférence pour leur genre de vie ? Est-ce résignation, ou bien cette sorte de contentement tacite que donne à l’homme la conscience d’un sévère devoir accompli ?

Dans les villes, plusieurs sociétés savantes ont beaucoup contribué, depuis quelques années, à développer l’agriculture ainsi qu’à élever les connaissances et le moral de la population. Londres n’est point du tout, comme Paris, un centre absorbant qui attire plus ou moins les intelligences d’élite, et, en dépit du mot de Voltaire, les académies de province sont dans plus d’un endroit de la Grande-Bretagne des filles sages qui font beaucoup parler d’elles. Parmi de telles institutions, je citerai seulement la Société polytechnique (Polytechnic society), fondée en 1833. Quoique devant son origine à deux sœurs, cette société n’a rien de féminin : elle tient à Falmouth des séances annuelles où se discutent toutes les questions de science, d’économie politique et d’industrie. De son sein partirent même, dans ces derniers temps, plusieurs découvertes et plusieurs améliorations utiles. La charmante ville de Falmouth était d’ailleurs bien choisie pour servir de cadre à ces réunions de savans, à ces lectures, à ces concours et à ces expositions annuelles qui attirent de tous les environs un très grand nombre de curieux. Située à l’embouchure de la rivière Fal, qui forme en cet endroit un magnifique estuaire, et sur les rives ondoyantes d’une baie étroite et profonde, elle jouit naturellement d’un excellent port, dominé par de gracieuses collines, entre lesquelles s’ouvrent ça et là des échappées de verdure. La nature a beaucoup fait pour Falmouth : ses habitans ont fait encore plus que la nature. Ils aiment leur ville, — c’est le mot d’un d’entre eux, — comme on aime une femme. Aussi n’ont-ils reculé devant aucun sacrifice pour ajouter à la beauté de la situation des travaux utiles qui doivent attirer les vaisseaux dans un port déjà commode et spacieux. Le nombre de ces vaisseaux, qui n’était en 1850 que de 1,519, s’est élevé en 1860 à 2,800. Les docks, qui ne sont point encore terminés, présentent néanmoins un ensemble de constructions imposantes. Deux digues (break waters) appuyées sur une double rangée de charpentes toute chargée à l’intérieur de pierres massives, s’avancent à une distance de 1,028 pieds dans la mer et protègent l’intérieur du port en brisant l’impétuosité des lames. Deux graving docks, vastes bassins de granit, servent