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dans l’ensemble une étendue de deux cents acres de landes plus ou moins stériles, est assez peu faite pour réjouir le voyageur. William Gilpin, un pasteur anglais de la fin du dernier siècle, écrivain descriptif et touriste[1], s’était avancé à la recherche du pittoresque sur la lisière de ces régions nues et désolées. Quel fut son désenchantement ! Il s’arrêta tout à coup, le cœur brisé, sur la route de Launceston à Bodmin, et tourna pour jamais le dos à la Cornouaille. Quant à moi, j’avais contracté dans le Kent, depuis plusieurs années, l’ennui du paysage fait à souhait pour le plaisir des yeux ; aussi, bien loin d’être rebuté par cette tristesse de la nature, je me félicitai de trouver chemin faisant comme une sombre apparition du désert dans un coin de la verte Angleterre, souvent un peu trop cultivée. Ces solitudes, avec leurs sommets couronnés de rochers à pic, leurs éternelles bruyères et leurs ravins sauvages, ont un caractère de grandeur désolée ; mais, quoi qu’il en soit, Gilpin se trompait fort en croyant que c’était là toute la Cornouaille. De ces hauteurs arides et sourcilleuses descendent de nombreuses vallées qui s’étendent sur les côtes de la mer, et qui, abritées par des collines contre les acres brisés, arrosées par de charmantes rivières ou des ruisseaux au cours lent et paresseux, favorisées d’ailleurs par une température douce et humide, se couvrent pendant presque toute l’année d’une végétation abondante. C’est là naturellement qu’il nous faut chercher les fermes, les vergers et les riches moissons, mais surtout ces jardins délicieux qui forment une des gloires de la Cornouaille, et qu’on pourrait appeler les paradis de l’ouest de l’Angleterre.

Les géographes doivent être aujourd’hui revenus d’une vieille erreur qui consistait à envisager le système céleste comme l’unique régulateur des climats. Mille influences tout à fait indépendantes des degrés de distance du méridien, mais surtout les rapports de la terre et de la mer, exercent une action souveraine sur la distribution du froid et de la chaleur à la surface de notre globe. Des causes entièrement locales créent ainsi très souvent une température particulière dans la température générale d’une contrée. Jusqu’à quel point, en est-il ainsi pour certaines parties de la Cornouaille ? Avant de répondre à une telle question, il nous faut consulter les fleurs, ces thermomètres organiques, dont le témoignage ne peut mentir. Dans divers endroits du comté, mais toujours près des bords de la mer, on est étonné de rencontrer le long des jardins qui ornent la façade des maisons [front gardens) des plantes d’agrément qui demeurent toute l’année dehors, et qui n’appartiennent

  1. Autenr de Remarks on forest scenery et d’Observations on picturesque Beauty. Il était vicaire de Boldre, dans New-Forest, Hampshire.