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les yeux sur Frédérique, qui chantait cette partie non sans un peu d’émotion. Les deux voix s’unirent ensuite dans un délicieux accord, et le morceau s’acheva comme un hymne à la grâce et à la beauté du jour. Un murmure approbateur, où il se mêlait autant de politesse que de vraie satisfaction, témoigna aux deux jeunes filles le plaisir qu’on avait eu à les entendre. Aglaé était toute rayonnante des complimens qu’on lui adressait, tandis que Frédérique, moins communicative, paraissait simplement heureuse d’avoir terminé une tâche qui lui était peu agréable.

— Comment trouvez-vous ce joli madrigal, mon cher chevalier ? dit M. Thibaut en se frottant les mains de plaisir.

— Exquis ! digne de celui qui a mérité d’être surnommé le Raphaël des musiciens. Il faudrait mettre au bas de chaque morceau de Mozart ce que Voltaire disait du style de Racine : parfait, inimitable !

— Jamais un compositeur allemand n’aura reçu un plus bel éloge de la part d’un Italien, dit M. de Loewenfeld.

— L’auteur de Don Juan n’appartient exclusivement à aucune nation, reprit le chevalier. Si le hasard l’a fait naître à Salzbourg, il a été nourri de l’art italien, qui dominait alors dans toutes les cours princières de l’Allemagne et de l’Europe. Béni et consacré par le padre Martini de Bologne, qui représentait la belle tradition de l’école romaine, c’est dans la langue de Métastase et pour des chanteurs italiens que Mozart a composé ses chefs-d’œuvre, Idomeneo, les Nozze di Figaro et Don Juan. Son génie, vraiment divin, ne semble pas procéder de l’humaine nature, tant il est spontané dans ses manifestations, qui jamais ne trahissent l’effort. Pour moi, Mozart n’est pas un musicien qu’on puisse comparer à aucun autre, c’est le musicien de la grâce, de la tendresse et de l’idéal, le ne saurais mieux exprimer l’effet que me produit la musique de Mozart que par cette strophe que lui adressa la célèbre Corilla en 1770 :

Quella dolce armonia di paradiso
Che a un estasi d’amor mi apri il sentiero
Mi risuona nel cuor, e d’improviso
Mi porta in cielo a contemplare il vero[1].

— Ah ! chevalier, s’écria Mme de Narbal avec la vivacité d’impression qui lui était naturelle, pour parler ainsi de Mozart il faut avoir bien des choses dans le cœur et dans l’esprit !

  1. « J’entends encore cette douce harmonie, digne du paradis, qui, en remplissant mon cœur d’une extase d’amour, me transporte jusqu’au ciel, en face de l’éternelle vérité.