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Jean-Jacques Rousseau fut une erreur de la nature, et que je ne respecte en lui que ses malheurs. Je respecte de même, et ni plus ni moins, la besace du pauvre et les plaies du blessé. Je ne puis injurier ni mépriser les misérables, et je ne leur demande pas s’ils le sont par leur faute; mais n’exigez pas qu’en leur tendant une main secourable je baise au front la lèpre de leur péché. Rousseau, doué d’un si beau génie, était l’homme le plus faible et le plus infirme d’esprit qu’il y eût. Souillé d’instincts honteux et de fautes méprisables, que l’on eût bien pu ignorer, il a rendu hommage au besoin de la confession en prenant le monde pour confesseur. Le monde l’a trahi, car le monde est sans pitié et sans entrailles. L’église n’a donc point à détester et à maudire ce pécheur dont l’opinion a fait prompte et cruelle justice. Elle voit en lui un malheureux insensé qui proclame la gloire de Dieu en dépit de lui-même. Oui, cet homme qui cherche Dieu sans pouvoir le trouver, ce pénitent qui dédaigne et repousse le prêtre, mais qui, perdu de honte et de remords, se confesse à l’univers et meurt désespéré en voyant que l’univers le condamne, est un trophée que met à nos pieds la philosophie. Qu’eût-il fallu pour sauver ce grand esprit abandonné à la dérive? Un ami, un confesseur qui l’eût réconcilié avec lui-même en lui inspirant le véritable repentir. Ah! que l’expiation eût été plus douce, seul à seul aux pieds du Christ, avec ce prêtre priant et pleurant avec lui! comme cela eût été simple, édifiant et facile, au prix de cet aveu public qui l’a plongé dans une éternelle honte et dans les atroces douleurs qui conduisent au suicide! Oui, je dirai avec vous : Pauvre Jean-Jacques! Je le plains réellement, ne me demandez pas de l’aimer. Il a trop d’orgueil. Et ce n’est même pas de l’orgueil, c’est de la vanité. Il eût peut-être consenti à revenir à la véritable église et à plier les genoux devant un prêtre, s’il eût compris que ce médecin de l’âme avait la puissance de le guérir; mais qu’eût dit ce monde de libertins et d’athées que Rousseau feignait de mépriser, et qu’il voulait éblouir par un trait d’audace inouïe? Une obscure et discrète conversion eût fait rire tous ces beaux messieurs ! Il fallait les étonner par un acte de courage insensé. Et que fait-il dans son délire déplorable? Il relève les pans de sa robe d’Arménien, montre sa nudité honteuse et triomphe parce qu’il a fait rougir les passans! On lui jette des pierres, et il s’en étonne; on le laisse seul, et il pleure; on le blâme, il s’indigne et se tue ! Vous voyez bien que cet homme est fou et qu’il ne peut porter aucune atteinte à la vérité religieuse.

— Certes, répondis-je, il est plus commode de se confesser en secret qu’en public. Les premiers chrétiens n’en jugèrent pas ainsi pourtant : ils se confessaient tout haut à la porte du temple; mais,