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de l’amie de Jean-Jacques, et si j’y devais chercher quelque lointaine ressemblance avec elle. M. Arsène Houssaye nous donne aujourd’hui le mot de l’énigme, car c’est bien là ressemblance de Mme de Warens elle-même. « C’est le hasard qui a fait de ce tableau (l’Omphale) le portrait de Mme de Warens. Un de ses amis le lui apporta un jour en lui disant : Vous reconnaissez-vous? C’était une toile déjà ancienne, dans la manière du Ricci, achetée à Turin et offerte à la belle baronne. J’en dirai autant d’une toile plus petite peinte à l’école du Castiglione. C’est encore d’un peu loin le portrait de Mme de Warens, mais toujours par rencontre. »

Ces deux tableaux, qui sont restés là, lui ont donc bien appartenu personnellement. Les y a-t-elle laissés pour acquitter une fin de bail? C’est fort probable. Comme souvenirs, ils sont donc d’un grand prix, et on doit estime et respect au propriétaire des Charmettes, qui n’a pas voulu s’en dessaisir. L’Omphale est fort belle, et la peinture n’est pas mauvaise; mais Mme de Warens était blonde, et celle-ci est brune. N’importe, cette belle tête sourit, et son regard éclaire encore les Charmettes comme un rayon du passé.

Cette première pièce, assez vaste, était la cuisine où l’on mangeait et où l’on préparait sans doute les fameux élixirs.

Le petit salon où l’on passe immédiatement est aussi pauvre que le reste, et il est charmant, on ne sait pourquoi. Est-ce parce qu’il est un sanctuaire particulier où, après les soins de la journée, le travail et la promenade, on se reposait dans une causerie plus intime et plus sérieuse? Là sans doute l’amie de Jean-Jacques ne s’occupait que de lui, de son avenir, de ses études, de ses projets, de ses idées. Aucun nouveau-venu ne profanait le charme de leurs entretiens. Là sans doute, assis le soir sur les marches qui descendent au jardin, ils savouraient le bonheur poétique que Rousseau a si noblement et si purement décrit. Le souvenir des allans et venans me gâte un peu la grande pièce. Le petit salon me représente mieux les jours que Rousseau a si bien racontés. Je croyais retrouver le passage de ses yeux rêveurs sur les moindres détails de la muraille; mais je l’ai surtout cherchée avec émotion, cette trace, cette lueur magique, dans la suave et fière nature qui entourait l’ermitage, dans le coteau ombragé, dans le hardi profil du Ni volet, qui se découpait sur le ciel brillant et pur.

Il n’a su décrire que beaucoup plus tard, mais certes il sentait déjà profondément; il voyait ces tableaux enchanteurs dont il a dit depuis : « Je revenais, en me promenant, par un assez grand tour, occupé à considérer avec intérêt et volupté ces objets champêtres dont j’étais environné, les seuls dont l’œil et le cœur ne se lassent jamais. » Baignons-nous donc ici, artistes que nous sommes, dans