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De nouveau condamné au repos par une révolution, et cette fois pour longtemps, il est resté depuis douze ans le témoin inactif d’un ordre de choses bien éloigné de celui qu’il avait rêvé pour son pays. Il n’est sorti de son silence qu’en 1856 pour prononcer cet admirable discours de réception à l’Académie française qui le montra tout à coup sous un nouveau jour. Le public français, si indifférent et si mobile, connaissait en lui l’homme politique, le duc et pair, l’ancien président du conseil : on avait oublié l’orateur et l’écrivain. On fut bien forcé de s’en souvenir en écoutant cette parole nerveuse, dont chaque mot se gravait dans les esprits et y laissait une empreinte profonde. Jamais plus de sobriété ne s’unit à plus de relief. Tantôt la phrase brève et concise partait comme un trait, tantôt elle s’assouplissait en période naturelle et aisée ; mais, sous une forme ou sous une autre, elle ne manquait jamais son but. La familiarité même de quelques expressions rehaussait la vigueur contenue de la pensée. L’effet fut très grand sur un auditoire exercé à apprécier les plus rares et les plus puissans secrets du langage. Aux premiers accens de cette mâle éloquence, chacun se sentit ramené vers le temps où la parole était l’âme et la vie de nos institutions, où la littérature et la politique marchaient de pair, s’éclairant, se fortifiant l’une par l’autre, et quand arriva cette heureuse péroraison où il montrait l’empereur Sévère se levant sur son lit de mort pour s’écrier d’une voix forte : Travaillons! (laboremus!) on put croire que l’assemblée tout entière allait se lever aussi pour répéter le grand mot d’ordre. C’était le mot de toute sa vie qu’il venait de dire, le mot qui fait les hommes éprouvés et les nations libres.

Le recueil des Écrits et Discours contient encore trois notices biographiques écrites à diverses époques. Dans les discours de tribune, on sent toujours plus ou moins l’abandon de l’improvisation; ici, la forme est plus arrêtée, plus exquise. Le portrait de M. Silvestre de Sacy, le savant orientaliste, décèle un art accompli ; celui de M. le maréchal Maison est plus vivant encore. L’un présente le spectacle d’une vie calme, heureuse, toute consacrée à l’étude et à la pratique des vertus chrétiennes; l’autre respire la poudre des champs de bataille et peint avec vivacité ce vigoureux soldat qui comptait encore plus de blessures que de grades. Ces deux personnages étaient morts pairs de France; la troisième notice a un caractère plus intime, elle est consacrée à un homme qui n’a pas eu l’honneur d’être pair, qui n’était même pas Français, et qui devra à son biographe un juste retour de renommée, M. Lullin de Chateauvieux, l’auteur des Lettres sur l’Italie en 1812 et du Manuscrit de Sainte-Hélène. Ce qui a valu à M. de Chateauvieux cet hommage touchant, c’est qu’il avait fait partie de la société de Mme de Staël à Coppet, qu’il avait été l’ami de M. Auguste de Staël et qu’il ne s’est