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de réunir les élémens d’une solution, et en 1843, après une immense enquête, il présentait au ministre de la marine un rapport décisif. Ces faits, qui feraient à eux seuls l’honneur de toute une vie, ont été rappelés récemment par M. Augustin Cochin dans son livre sur l’abolition de l’esclavage. « Votre main plus qu’aucune autre, dit M. Cochin en s’adressant à M. le duc de Broglie, a contribué par des coups répétés à briser enfin les liens qui retenaient dans l’esclavage, à l’ombre du drapeau français, en face des autels chrétiens, 250,000 créatures humaines. »

Parmi les mesures prises à diverses époques pour amener par la répression efficace de la traite la destruction de l’esclavage, se trouvaient deux conventions passées avec l’Angleterre, en 1831 et 1833, pour autoriser les croiseurs des deux nations à visiter sans distinction les bâtimens anglais ou français soupçonnés de se livrer à ce honteux trafic. Le droit de visite réciproque avait été pratiqué jusqu’en 1841 sans donner lieu à aucune réclamation. L’opposition y découvrit un beau jour une atteinte à l’indépendance du pavillon national et commença contre ce droit inoffensif la plus formidable campagne. M. le duc de Broglie avait négocié la première des deux conventions, il avait signé la seconde. Il les défendit, comme il le ait lui-même, en accusé. Au lieu d’instituer la visite des navires suspects, qui existait de fait auparavant, les conventions n’avaient fait que la régulariser, la limiter, la rendre exactement réciproque. Malgré ces bonnes raisons, les susceptibilités éveillées persistèrent. Le gouvernement crut devoir entamer une négociation avec le cabinet de Londres pour modifier les traités. M. le duc de Broglie consentit à s’en charger, et une nouvelle convention fut conclue par ses soins, qui supprimait le droit de visite, mais en organisant contre la traite de nouveaux moyens de répression.

Après ces débats, il accepta en 1847 le titre d’ambassadeur à Londres. Il avait reçu de la nation anglaise, comme simple négociateur, un accueil plein d’estime et de respect. Ces témoignages se multiplièrent quand on le vit investi d’un titre durable. Nul ne pouvait mieux que lui calmer les passions excitées entre les deux pays, et son acceptation dans un pareil moment fut encore de sa part un acte de dévouement. Une seule affaire de quelque importance marqua sa courte ambassade. La guerre civile venait d’éclater en Suisse. Le souffle orageux qui allait couvrir l’Europe de révolutions se levait au pied des Alpes. L’Europe s’en inquiéta, non sans motifs; des pourparlers s’engagèrent à Londres entre les représentans des puissances qui avaient garanti le pacte constitutif de la confédération helvétique. L’ambassadeur de France y prit naturellement une grande autorité; il connaissait, il aimait la Suisse, où l’appelait souvent le culte qu’il conservait pour la mémoire de Mme de