Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/333

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous avons dissous les sociétés anarchiques; nous avons arrêté les chefs, éparpillé les soldats. Enfin, après nous avoir plus d’une fois menacés de la bataille, plusieurs fois elle nous l’a livrée; plusieurs fois nous l’avons vaincue, plusieurs fois nous l’avons traînée, malgré ses clameurs, aux pieds de la justice, pour recevoir son châtiment. Elle est maintenant à son dernier asile, elle se réfugie dans la presse factieuse; elle se réfugie derrière le droit sacré de discussion que la charte donne à tous les Français. C’est de là que, semblable à ce scélérat dont l’histoire a flétri la mémoire, et qui avait empoisonné les fontaines d’une cité populeuse, elle empoisonne chaque jour les sources de l’intelligence humaine, les canaux où doit circuler la vérité. Nous l’attaquons dans son dernier asile, nous lui arrachons son dernier masque; après avoir dompté la révolte matérielle sans porter atteinte à la liberté légitime des personnes, nous entreprenons de dompter la révolte du langage sans porter atteinte à la liberté légitime de la discussion. »

Ce cri courageux ne pouvait avoir qu’un grand succès dans une chambre française ; les acclamations de la majorité interrompirent l’orateur à plusieurs reprises. Hélas ! si ceux qui repoussaient avec le plus de violence ces mesures de salut avaient pu lire dans l’avenir, ils auraient remercié les premiers le gouvernement royal de n’employer contre eux que les armes légales. Un temps devait venir où ils expieraient leur succès d’un jour par une répression bien autrement terrible. En les arrêtant sur cette pente fatale, la monarchie constitutionnelle les préservait à leur insu de la déportation sans jugement et de la mort sans phrases. Les lois de septembre furent votées; mais l’irritation survécut à ces discussions, et quelques mois après le ministère fut renversé par un vote de la chambre sur une question incidente. M. le duc de Broglie, fatigué de tant d’inconstance, sortit du pouvoir pour n’y plus rentrer.

L’incident qui détermina sa retraite est curieux et caractéristique. Il s’agissait de la conversion des rentes, proposée soudainement par M. Humann. Le président du conseil venait de présenter les objections du gouvernement; on prétendit qu’il avait manqué de clarté; impatienté, il reproduisit en termes plus sommaires ce qu’il venait de dire, et ajouta en s’adressant à ses interrupteurs : Est-ce clair? Les chambres étaient alors infiniment plus susceptibles qu’aujourd’hui; on trouva le mot peu parlementaire, et on s’en fit un grief qui réussit à détacher quelques voix; Voilà sur quoi succomba ce ministère qui a marqué la grande époque du gouvernement de 1830. Jamais cause plus puérile n’eut de plus fâcheux résultats, et on comprend sans peine que le souvenir de pareilles misères ait amené une réaction contre l’excès des prétentions parlementaires. Malheureusement