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se séparer. M. Guizot a caractérisé dans ses Mémoires le rôle qu’y remplit M. de Broglie. « Il était, dit-il, plus libéral que démocrate et d’une nature aussi délicate qu’élevée; la politique incohérente et révolutionnaire lui déplaisait autant qu’à moi. Quoique divers d’origine, de Situation et aussi de caractère, nous étions unis non-seulement par une amitié déjà ancienne, mais par une intime communauté de principes et de sentimens généraux, le plus puissant des liens quand il existe réellement, ce qui est rare. »

Au commencement de novembre, cette association d’élémens disparates fut dissoute. MM. Guizot, de Broglie, Casimir Perler, Louis, Mole et Dupin se retirèrent, et MM. Lamtte et Dupont (de l’Eure) devinrent ministres dirigeans, l’un comme président du conseil, l’autre comme gardé des sceaux. « Nous sortîmes des affaires, le duc de Broglie et moi, dit encore M. Guizot, avec un sentiment de délivrance presque joyeux dont je garde encore un vif souvenir. Nous échappions au déplaisir de nos vains efforts et à la responsabilité des fautes que nous combattions sans les empêcher. » Ce second ministère, où dominait la gauche, ne dura pas plus que le précédent; il succomba sous la crainte permanente de nouvelles secousses compliquées d’une guerre générale, et après quelques incertitudes M, Casimir Perier forma le ministère du 13 mars 1831, qui rétablit par son énergie la paix intérieure et extérieure. Ni M. de Broglie ni M. Guizot n’en firent partie, mais tous deux l’appuyèrent de toutes leurs forces et contribuèrent à son succès.

Deux circonstances délicates appelèrent M. le duc de Broglie à la tribune de la chambre des pairs en 1831 et 1832.

Une pétition adressée à la chambre demandait que les grades et décorations conférés par Napoléon pendant les cent-jours et annulés par la restauration fussent reconnus valides. C’était mettre en présence les deux gouvernemens qui s’étaient rapidement succédé, celui de Napoléon et celui des Bourbons, et reconnaître au premier une valeur légale qu’on refusait implicitement au second. Dans une question où tant d’intérêts et de passions étaient en jeu, il fallait du courage pour se prononcer contre les pétitionnaires. M. le duc de Broglie commença par déclarer que le gouvernement pouvait conférer les grades et décorations dont il s’agissait, et que, si quelque mesure législative était nécessaire pour l’y autoriser, il était prêt à la voter; mais quant à rétablir de plein droit, par mesure générale, ce qu’un gouvernement reconnu, en pleine possession du pouvoir, avait aboli, on ne pouvait y consentir sans tout remettre en question. « Je ne crois pas au droit divin, s’écria-t-il, je ne crois pas qu’une nation appartienne à une famille, corps et biens, âme et conscience, comme un troupeau, pour en user et en abuser; mais je ne crois