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Rochefoucauld, Clermont-Tonnerre, voulait abolir les privilèges et fonder en France l’égalité dans la liberté. Député de la noblesse de Colmar aux états-généraux, il y vota avec le parti des réformes malgré le courroux de son père, qui avait émigré un des premiers, et qui l’appelait impérieusement auprès de lui. A la clôture de l’assemblée nationale, il reprit du service comme maréchal de camp, et partit pour l’armée du Rhin. Après la journée du 10 août, il refusa de reconnaître les décrets qui suspendaient le roi, et donna sa démission, mais sans émigrer. Traduit devant le tribunal révolutionnaire, il fut condamné à mort et exécuté, le 27 juin 1794, à l’âge de trente-sept ans, versant, comme ses ancêtres, son sang pour la France, mais bravant pour elle un genre plus terrible de combats et de dangers.

M. le duc de Broglie (Charles-Achille-Victor-Léonce), dont le nom restera toujours attaché à l’histoire de la monarchie constitutionnelle en France, est le fils de l’héroïque et malheureux Claude-Victor. Il est né en 1785, et n’avait pas encore dix ans quand son père monta sur l’échafaud. Ses premières années ont reçu la rude éducation du malheur. Napoléon, qui cherchait à réunir autour de lui les plus grands noms de l’ancienne monarchie, le nomma auditeur, au conseil d’état. Il remplit en cette qualité plusieurs missions actives, en Illyrie, en Espagne, en Pologne, au congrès de Prague; mais le spectacle des grandeurs de l’empire n’exerça sur son jeune esprit, déjà mûri par de fortes études, aucune fascination. Parmi les traditions de sa famille, il avait choisi de bonne heure la plus généreuse et la plus tragique, celle de son père. Aux triomphes sanglans de la force, il préférait, en plein empire, le culte abandonné des idées. Il avait déjà cette sincérité stoïque que rien ne peut effrayer ni séduire, et qui a fait de tout temps le trait principal de son caractère.

Au retour des Bourbons, Louis XVIII s’empressa de le nommer pair de France. Il épousa presque en même temps la fille de Mme de Staël. Dans la journée du 14 juillet 1789, où le cours orageux de la révolution commença par la prise de la Bastille, deux hommes représentaient les partis opposés : l’un, le maréchal de Broglie, commandait l’armée réunie pour défendre l’ancien régime ; l’autre, M. Necker, était le chef reconnu des partisans du régime nouveau. Vingt-cinq ans après, le petit-fils du maréchal s’unissait à la petite-fille de M. Necker, devançant ainsi par son exemple la seule issue possible de nos troubles civils, la réconciliation de la vieille France et de la France nouvelle. Ce mariage fut un acte de tolérance religieuse non moins que de sagesse politique, car l’époux était fervent catholique, l’épouse protestante fervente, et cette différence