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ou telle qualité, mais qu’aucun d’eux n’avait possédé au même degré que lui ce charme suprême qui s’appelle la grâce; tous ses contemporains confirmaient ce jugement.

Si l’on veut se figurer ce que devait être la grâce dans l’art antique après Phidias et Zeuxis, après Apollodore et Praxitèle, il faut songer au Corrège, à Léonard de Vinci, à Raphaël, évoquer les impressions célestes que nous font éprouver leurs œuvres, les combiner comme on combine les parfums les plus délicieux, et je ne sais si l’on approchera assez de la vérité. Pour que la Grèce, mère des séductions et des sourires, riche de milliers d’œuvres où respiraient la grâce et la volupté idéale, s’étonnât de quelque nouveauté en ce genre et se déclarât charmée par un attrait supérieur à tous les autres, il fallait qu’Apelle fût un merveilleux enchanteur. La grâce, pour les Grecs, était à la fois la chose la plus familière et la plus indéfinissable : tous la sentaient par un tact, par un tressaillement subit, aucun n’aurait entrepris de dire où elle résidait. Ils en avaient fait une divinité, Charis, et l’adoraient : Apelle avait payé l’hommage qu’il devait à sa déesse inspiratrice en la peignant dans l’Odéon de Smyrne. Quant aux Romains, renonçant à traduire l’émotion qu’ils éprouvaient devant les œuvres d’Apelle, ils employaient le mot venustas, comme pour dire que c’était la beauté, la séduction, la puissance irrésistible, l’essence même de Vénus. Comment donc les modernes pourraient-ils se figurer, même grossièrement, tant de prestige, eux qui ne verront jamais le plus petit débris d’un tableau d’Apelle ? Tous les efforts d’imagination sont stériles, car, pour refaire par la pensée une figure d’Apelle, il faudrait avoir autant de génie que lui. L’attitude décente et noble, les poses pleines d’un touchant abandon, la pudeur rougissante du visage, les lèvres animées par un sang généreux, le sourire aimable et d’une chasteté voluptueuse, le regard humide, profond comme la mer azurée, le modelé admirable des formes, le ton des chairs qui semblent baignées par la lumière plus pure de l’Olympe, l’harmonie des contours enivrante comme une caresse, la transparence des voiles qui paraissent s’attacher amoureusement à un beau corps et se pénétrer de sa vie, en vain nous évoquons les images les plus radieuses : notre esprit ne peut secouer ses ténèbres. Si les peintres exercent par leurs tableaux plus de séductions que les sculpteurs, s’ils sont de leur vivant plus populaires, le temps venge les sculpteurs et les relève. Après vingt-quatre siècles, les marbres du Parthénon nous révèlent encore Phidias, tandis qu’Apelle est mort tout entier.

Du moins savons-nous, par les témoignages des auteurs du temps, qu’Apelle était un coloriste et qu’il s’écartait de l’austérité des tons de l’école de Sicyone. Là reparaissait son tempérament d’Asiatique,