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on ne devinait pas seulement les traits du fils d’Alcmène, on les voyait. Il ne faut pas oublier un Héros nu, défi porté à la nature, imitation si puissante du modèle qu’elle causait un certain frisson : on sentait le tableau s’animer, et la figure semblait prête à se mouvoir. Apelle représenta encore des mourans, et l’on pouvait dire d’eux ce que l’on disait des mourans du Thébain Aristide, « que l’on comptait avec angoisse combien de temps il leur restait à vivre. »

Enfin le chef-d’œuvre d’Apelle, l’objet de l’admiration de toute l’antiquité, c’était sa Vénus sortant des ondes, souvenir de la belle Phryné, qui avait posé pour ce tableau, car Apelle aimait les courtisanes, il recherchait les plus célèbres, dont c’était le siècle et le règne; il faut même lui savoir gré de n’avoir pas fait de peintures licencieuses, comme en faisaient volontiers la plupart de ses contemporains. La corruption des mœurs suivait l’abaissement des caractères. La Vénus Anadyomène excita la convoitise des Romains. Auguste l’acheta aux habitans de Cos moyennant cent talens, qui répondent à 560,000 francs de notre monnaie, et en réalité ce prix équivaut à plus de cinq millions d’aujourd’hui. Ce merveilleux tableau fut placé dans le temple de César, car la famille des Jules prétendait descendre de Vénus. Plus tard il s’altéra dans sa partie inférieure, et, quoiqu’on invitât les artistes à le restaurer, personne n’osa y toucher. Admirable leçon pour les profanateurs modernes! Sous le règne de Néron, le bois continuant de se pourrir et la couleur se rongeant de plus en plus, l’empereur en fit faire une copie par le peintre Dorothée.

Ainsi le cercle où s’est enfermé Apelle est restreint. La science dominait chez lui l’imagination, la grâce l’emportait sur la fécondité, l’esprit sur la force, l’habileté sur l’invention. Ce n’était point par la grandeur des sujets qu’il voulait frapper les âmes : il préférait les ravir par la beauté des figures et la perfection des détails. On peut dire qu’il a été surtout un homme d’exécution. Par une étude approfondie de la nature, unie au sentiment le plus exquis, il réalisait des types qu’il ne créait pas, mais qui s’offraient à ses yeux. Il les choisissait, il les combinait, il les divinisait au besoin; seulement, au lieu de descendre de l’idée à la forme, il s’élevait à l’idéal par l’observation. Pénétré des idées des maîtres sicyoniens, accoutumé par une éducation prolongée à respecter le modèle vivant et à se jouer de toutes les difficultés qu’il présentait, armé du pinceau le plus souple et le plus savant, il a su allier les qualités charmantes du génie ionien aux qualités plus énergiques du génie dorien. Il se vantait de n’avoir jamais passé un jour sans s’exercer la main, voulant dire que son adresse merveilleuse était le fruit du