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et il ne peut se soutenir que par la force de l’exécution. Comme c’était précisément le talent d’Apelle, on conçoit qu’il ait fait un chef-d’œuvre. En personnifiant des abstractions, des idées morales, il suffisait de trouver de beaux modèles d’hommes et de femmes. Tout modèle pouvait devenir indifféremment un vice ou une vertu, selon l’expression et l’ajustement que lui donnait le peintre. Là aussi Apelle pouvait suivre ses habitudes, copier la nature, et agencer harmonieusement une série d’études qui étaient encore des portraits.

On soupçonne plus de hardiesse et de création dans les tableaux où il voulut personnifier les forces de la nature, ses accidens les plus terribles et les plus rapides : il entreprit de figurer le tonnerre, l’éclair, la foudre qui tombe. Nous n’avons aucun détail sur ces images si difficiles à saisir; mais d’après les noms grecs bronté, astrapé, kéraunobolia, il est vraisemblable que c’étaient des femmes qui, par leur expression et leurs attributs, faisaient comprendre le sujet au spectateur. On peut surtout conjecturer que l’exécution en était éclatante et que le feu du ciel jetait sur les personnages des reflets inaccoutumés. Le succès qu’avait obtenu le portrait d’Alexandre tenant la foudre encouragea sans doute l’artiste à chercher pour son pinceau ce nouveau triomphe.

Une des œuvres les plus renommées d’Apelle était une série de portraits habilement mis en scène. Pendant qu’il habitait Éphèse, sa patrie d’adoption, il représenta « le grand-prêtre Mégabyse offrant un sacrifice dans le temple de Diane, entouré des prêtres, des sacrificateurs, des magistrats de la ville. » C’était un peu ce que l’on appelle aujourd’hui de la peinture officielle : on y retrouvait l’exacte ressemblance de la plupart des personnages. Il faut que l’imagination y ajoute la majesté de l’architecture, la beauté des costumes, la pompe sacrée, les vases, les fleurs, les ornemens les plus précieux, afin de sentir toute la grandeur et toute la richesse du tableau. L’on pourra, comme point de comparaison, songer à une messe dans la chapelle Sixtine ou à l’exaltation d’un pape porté en cérémonie dans la basilique de Saint-Pierre. Peut-être faut-il voir un pendant à cette œuvre dans le tableau qui représentait « Diane au milieu d’une troupe de jeunes vierges qui sacrifient. » Comme Diane était la grande divinité d’Éphèse, il est possible qu’Apelle ait voulu faire aussi le portrait des prêtresses du sanctuaire et des filles des principaux citoyens.

Les auteurs mentionnent encore la figure qu’il peignit dans l’Odéon de Smyrne : c’était une Grâce vêtue. Il fit aussi la Fortune, non pas debout, mais assise, Hercule, la tête détournée; mais les raccourcis étaient si savans et si fins que la ressemblance se trahissait :