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inimitable était donc quelque chose de supérieur à la réalité ; sa beauté était créée par l’artiste, qui ne copiait l’original que pour le transfigurer. La difficulté fut autrement grande pour le peintre lorsqu’il dut faire le portrait d’Antigone, un des généraux et plus tard un des successeurs d’Alexandre. Antigone était borgne, et l’on sait combien l’art grec répugnait à reproduire ce qui était difforme, car la difformité est pire que la laideur. Apelle présenta la figure d’Antigone de trois quarts, et distribua de telle sorte la lumière et les ombres portées que l’infirmité du roi fut tout à fait dissimulée. « Il semblait, dit Pline, que ce fût au portrait et non au modèle qu’il manquât quelque chose, » voulant dire par là que l’œil malade se modelait dans l’ombre et s’y perdait. Cette suprême habileté à sauver les défauts de l’original ravit les contemporains : ils déclaraient que le portrait d’Antigone était un des chefs-d’œuvre du peintre; deux fois l’épreuve fut tentée et le tour de force accompli. Le premier portrait, celui qu’on mettait au-dessus de tous les autres, représentait Antigone à cheval; le second le montrait marchant à pied, revêtu d’une cuirasse, conduisant son cheval par la bride.

On cite parmi les autres portraits d’Apelle Clitus à cheval, partant pour la bataille et prenant son casque des mains de son écuyer, Néoplolème combattant à cheval contre plusieurs Perses, Archélaüs avec sa femme et sa fille, Ménandre, roi de Carie, Habron, Ancée, l’acteur Gorgosthène, la belle Patikasté, la seule femme qu’il ait peinte; elle était nue et en pied. Enfin Apelle avait fait son propre portrait. Tous ces tableaux, car c’étaient de véritables tableaux, sont à peine indiqués par les auteurs anciens; mais leurs indications suffisent pour guider notre imagination et pour nous faire voir chaque personnage mis en scène, agissant, entouré de sa famille, de ses serviteurs, de ses ennemis vaincus. Parfois des figures allégoriques ajoutent à la noblesse du sujet. La plupart des portraits sont équestres, et lorsque les Grecs racontent que les chevaux vivans hennissaient devant un cheval peint par Apelle, on sent que ce n’est qu’une exagération spirituelle, comme les raisins de Zeuxis que des oiseaux venaient becqueter, comme le rideau de Parrhasius que son rival se préparait à tirer; c’est une façon de rendre la louange plus piquante et de dire que le talent de l’artiste faisait illusion, qu’il imitait la nature avec une précision saisissante. Les chevaux du Parthénon nous apprennent quelle devait être la beauté des coursiers sur lesquels Apelle représentait ses héros. Jamais peut-être l’image de l’homme n’a été entourée de plus de grandeur, soit qu’elle fût assimilée à celle des dieux, soit que le vaste cadre où elle était disposée, et les attributs qui la rehaussaient, fissent mieux sentir sa puissance et sa majesté. Les figures allégoriques qu’introduisait Apelle, la Victoire par exemple et surtout la Guerre,