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peintre plus célèbre encore, le divin Apelle, nous verrons combien était différente, au temps d’Alexandre, la condition des artistes, ce qu’ils se proposaient, où les conduisaient leurs triomphes, et l’on en conclura peut-être que, même chez les Grecs, passer de la grandeur austère à une perfection raffinée, c’est déjà déchoir.


I

Trois villes se disputaient l’honneur d’avoir donné naissance à Apelle : Cos, célèbre par ses beaux horizons, Éphèse, la magnifique, Colophon, une des sept villes qui se disaient la patrie d’Homère. Cos, pour justifier ses prétentions, montrait plusieurs tableaux du maître, sa Vénus Anadyomène et une autre Vénus, qu’il ne put achever, parce que la mort le surprit. Éphèse rappelait qu’Apelle avait passé une partie de sa vie dans ses murs, qu’il y jouissait des droits de citoyen, qu’il y avait pris ses premières leçons dans l’atelier d’Éphore. Ce qui est certain, c’est qu’Apelle était né en Asie-Mineure, qu’il avait respiré pendant ses jeunes années la mollesse et le charme enivrant de l’Ionie, qu’il avait grandi au milieu d’une société industrieuse, riche, efféminée, portée vers la volupté, qui tirait du contact de l’Orient le goût du luxe et des jouissances, qui avait contribué puissamment au développement de l’art, parce que l’art était le premier des plaisirs pour une âme grecque. C’est en Ionie que l’architecture avait revêtu ses formes les plus souples et ses lignes les plus douces; c’est en Ionie que la peinture, si propre à flatter les sens par l’éclat du coloris, avait été tout d’abord cultivée ; c’est en Ionie que la musique faisait entendre ses accens les plus langoureux ou les plus capables d’éveiller les passions; c’est en Ionie que se formaient, dans des écoles spéciales, ces belles et intelligentes courtisanes, dignes de converser avec les hommes d’élite et de les subjuguer, qui se répandaient ensuite dans toute la Grèce. Mais si tout fut précoce chez les Ioniens, tout n’y fut pas durable : l’égoïsme et le plaisir sont des fondemens mal assurés. L’art, aussi bien que la grandeur poli tique, eut de promptes défaillances et de fréquentes périodes de stérilité, parce qu’il était plus occupé de plaire que de chercher ses principes ou de les transmettre. La tradition s’affaiblissait, et l’on ne trouvait plus, à des intervalles inégaux, que de brillantes personnalités.

Au moment où parut Apelle, il n’y avait point autour de lui de maître habile, L’Éphésien Éphore, dont il reçut les leçons, était un peintre médiocre, que son élève seul a sauvé de l’oubli. Apelle dut donc chercher au loin l’enseignement que ne pouvait lui offrir sa patrie. Sa bonne fortune ou plutôt une clairvoyance précoce le conduisit