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un Athénien du temps, qui s’écrie : « Dans les arts, ce qui est le plus récent est toujours préféré? » Mot profond qui résume la loi du progrès, et qui explique non-seulement l’histoire de l’art, mais la mode, les révolutions et la condition même des sociétés.

Si, au lieu de franchir quelques années, on franchit un siècle, on voit avec étonnement jusqu’où les Grecs ont été entraînés par ce besoin de nouveauté. Au siècle d’Alexandre par exemple, ce ne sont plus les artistes uniquement qui veulent plaire par des effets différens et des séductions imprévues; c’est le goût public qui a d’autres exigences, c’est chaque branche de l’art qui s’est transformée. L’architecture abandonne l’ordre dorique, l’ordre du Parthénon et des Propylées; elle se lasse de sa belle et puissante nudité, elle s’attache à l’ordre ionique, plus orné, plus délicat, et développe l’ordre corinthien, dont la richesse raffinée fera dédaigner l’ordre ionique à son tour. La sculpture ne crée plus de types majestueux, tels que Jupiter ou Minerve, et ne cherche plus dans la beauté des formes l’expression de la grandeur morale; elle se rejette sur les types secondaires : c’est Bacchus et les satyres, c’est Vénus et l’Amour, c’est l’hermaphrodite et les nymphes que sculptent Praxitèle et Scopas, monde charmant, voluptueux, où la douceur exquise des formes par le aux sens bien plus qu’à l’intelligence. La peinture, armée de toute sa science, produit des œuvres accomplies; mais elle ne sait déjà plus jeter sur les murs ses vastes décorations, elle craint de retracer la vie des héros ou les combats d’Homère : l’inspiration audacieuse et la fécondité des vieux maîtres sont perdues, on aime les sujets circonscrits et les petits cadres, où la perfection s’obtient à coup sûr à force de soins et de procédés. C’est le temps où les arts secondaires, la gravure des médailles, la glyptique, la céramique, sont en principal honneur, parce que le secret de leur puissance est plutôt la patience que le génie. La position personnelle des artistes contribue à l’amoindrissement de l’art. Leurs œuvres sont payées au poids de l’or, mais ils vivent dans la dépendance des princes. Ils travaillaient jadis pour honorer les dieux ou pour illustrer leur patrie ; ils sont désormais les courtisans des rois et satisfont leurs caprices.

Des exemples particuliers font mieux comprendre un fait général, et la vie d’un homme illustre nous aide à pénétrer dans son époque. En racontant dans la Revue[1]l’histoire du peintre Polygnote, je me suis efforcé de montrer quelle était, au lendemain des guerres médiques, la dignité de l’art; j’ai indiqué aussi son caractère. philosophique, sa portée morale. En étudiant aujourd’hui un

  1. Voyez la livraison du 15 janvier 1862.