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PUBLICATIONS ALLEMANDES SUR LA RÉFORME.[1]

Dans les études consacrées de nos jours à cette tradition d’apologues qui remonte aux premiers âges de l’histoire et que notre fabuliste a fixée à jamais en son œuvre immortelle, dans les travaux d’érudition ou d’art, de critique littéraire ou morale sur La Fontaine et ses devanciers, les écrivains de la France ont presque toujours négligé de faire la part de l’Allemagne. Soit que nos orientalistes, au sujet du Dolopathos ou de l’Hitopadesa, suivissent d’Asie en Europe la migration des moralités antiques, soit qu’un trop ingénieux constructeur de systèmes s’amusât à comparer le poète de Janot Lapin aux fabulistes sentencieux de l’antiquité gréco-latine et aux fabulistes conteurs du moyen âge, on ne songeait guère à découvrir des rapprochemens chez ces faiseurs d’apologues, dont la vieille Allemagne est si riche. Un docte critique déjà connu par d’utiles publications sur l’histoire littéraire de son pays, encouragé sans doute aussi par les recherches qui se multiplient autour de lui sur les écrivains allemands de la réforme, — M. Henri Kurz, — vient de nous rendre notre oubli très sensible, non par des réclamations amères et pédantesques, mais, ce qui est bien plus habile, par la publication de deux volumes où l’élégance de la forme relève encore le sérieux intérêt du fond : il s’agit du recueil de fables composé au commencement du XVIe siècle par un de ces poètes moralistes si nombreux, si hardis, qui préparèrent le mouvement de la réformation et s’y jetèrent tout naturellement. Ce poète se nommait Burkhard Waldis.

La vie de Burkhard Waldis est peu connue ; un petit nombre de renseignemens certains, quelques conjectures tirées de ses ouvrages, voilà les seuls matériaux de cette biographie, et il faut d’autant plus le regretter, que l’existence agitée du fabuliste, si nous en possédions les détails, serait sans doute un des curieux épisodes de la réformation. Burkhard Waldis naquit, selon toute vraisemblance, au village d’Allendorf, dans la Hesse, de 1480 à 1490. Quelle fut son éducation première, on l’ignore. Sortait-il du couvent ou des écoles populaires ? Était-ce un élève des moines ? Était-ce un de ces scholastici vagantes dont l’histoire vient d’être si bien mise en lumière par M. Gustave Freytag dans ses Tableaux de l’ancienne Allemagne, et plus récemment encore par M. Édouard Fick, de Genève, dans son excellente traduction de l’autobiographie de Thomas Platter ? Là-dessus point de réponse ; nous voyons seulement par ses écrits qu’il avait fait une étude assez sérieuse des lettres antiques, et nous savons qu’il se consacra d’abord au service de l’église. En 1523, il était moine franciscain à Riga. Pourquoi si loin de son pays ? À la suite de quels événemens ? Autant de mystères. La réforme faisant chaque jour de nouveaux progrès dans ces contrées, l’archevêque de Riga, Gaspard de Linden, envoya une députation de trois moines à l’empereur Charles-Quint pour implorer sa protection contre les violences des partisans de Luther. Sept ans après l’explosion de là réforme, les catholiques étaient en minorité à Riga, et les adversaires de Rome, maîtres du champ de bataille, devenaient oppresseurs à leur tour. Les trois moines ne virent point l’empereur Charles-Quint, qui venait de

  1. Deutsche Bibliothek : Esopus, von Burkhard Waldis ; — herausgegeben, etc., von Heinrich Kurz ; 2 volumes, Leipzig 1862.