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Czartoryski, à Oginski, à Kosciuszko, et des traités particuliers entre les copartageans. Lord Palmerston était donc parfaitement fondé, dans sa célèbre dépêche du 22 mars 1834, à rechercher si la condition de donner des institutions nationales aux Polonais des anciennes provinces avait été jusqu’alors complètement remplie par le gouvernement russe.

Après avoir ainsi reconnu que l’acte de Vienne avait établi dans l’empire même de Russie deux catégories de Polonais, il importe de bien préciser un autre point sur lequel on commet involontairement ou à dessein des confusions déplorables. Nous voudrions qu’on distinguât plus nettement qu’on ne le fait en général ce qui a été rendu obligatoire de ce qui a été laissé facultatif. D’une lecture attentive du traité, il nous paraît résulter que les négociateurs de Vienne ont rendu obligatoire : 1° pour la Russie seule, le maintien du royaume de Pologne en un état séparé, jouissant d’une administration distincte et lié à l’empire par sa constitution ; 2° pour les trois cours copartageantes, l’octroi d’une représentation et d’institutions nationales aux Polonais de la Posnanie, à ceux de la Galicie et à ceux des anciennes provinces échues à la Russie. Au contraire, l’acte général de Vienne a laissé le caractère facultatif : 1° à l’extension ultérieure du royaume de Pologne : 2° au mode d’existence politique à accorder à tous les autres Polonais pour leur assurer en Russie, en Prusse et en Autriche le bénéfice d’une représentation et d’institutions nationales.

L’on paraît aussi avoir oublié et il est nécessaire de rappeler que le duché de Varsovie avait déjà une constitution avant d’être uni à la Russie sous le nom de royaume. Cette constitution, qui est du 22 juillet 1807, avait été délibérée par les Polonais et confirmée par Napoléon Ier ; elle instituait une diète générale, composée d’un sénat et d’une chambre des nonces, un conseil des ministres, une administration indépendante, des finances particulières et une armée séparée. Aussi les plénipotentiaires de 1815 n’ont pas dit, comme le proposait le comte Rasoumovski, que « sa majesté impériale donnerait une constitution nationale au nouveau royaume, » mais ils ont stipulé que cet état, jouissant déjà d’une administration distincte, serait lié à l’empire de Russie par sa constitution, ce qui n’était pas une expression vague, ni une porte ouverte à l’arbitraire, puisqu’il s’agissait de la constitution alors existante et non pas d’une constitution quelconque qu’il plairait à l’empereur-roi de décréter. C’est bien ainsi qu’Alexandre Ier l’a entendu. Aussi sa constitution du 27 novembre 1815, quoique moins libérale, est-elle fondée sur les mêmes principes que celle de 1807, comme on peut s’en convaincre en comparant ces deux actes. Le congrès de 1815 n’a donc pas accordé aux Polonais du royaume une administration distincte et une constitution nationale ; mais il leur a garanti la continuation de ces avantages, dont ils jouissaient depuis 1807.

Les trois gouvernemens alliés renoncent-ils à invoquer la stipulation de Vienne en faveur de la Pologne ? Ce qu’il importait d’établir, c’est que cette stipulation est d’une netteté plus propre à les servir qu’à les embarrasser. Les défenseurs de l’idée russe n’ont pas plus d’intérêt à se placer sur le terrain de 1815 que sur celui de 1772, et les anciennes provinces ont le droit de rester polonaises, même de par les traités de Vienne.


V. DE MARS.