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Nous n’avons pas attendu pour appeler sur ce grave sujet l’attention des lecteurs de la Revue la publication des mémoires annexés aux dernières dépêches de M. Drouyn de Lhuys et du prince Gortchakof. Les origines historiques du débat sont maintenant connues[1], et il n’y a point à y revenir. Après la dissolution de la grande confédération princière fondée au IXe siècle par les Varègues russes, les diverses parties qui l’avaient composée étaient rentrées légitimement dans leurs voies naturelles et particulières, la Moscovie en développant à part son unité nouvelle, et les anciennes provinces polonaises en retournant à la Pologne, dont le torrent varègue les avait séparées. L’histoire est remplie de ces réunions accidentelles imposées par la conquête à des populations étrangères les unes aux autres, qui, lorsque la dynastie, ou la caste conquérante est divisée, affaiblie ou éteinte, reprennent leur destinée naturelle sans que l’une d’elles se croie en droit de chercher à conquérir les autres ; mais il ne s’agit plus seulement de droit. Maintenant les défenseurs du système russe appellent cela le devoir de la reconquête ! Voilà donc encore une nouvelle obligation morale qu’il faut ajouter au devoir de profiter de la faiblesse de ses voisins et au devoir de la vengeance que l’on prêche à la Russie pour l’engager à s’emparer de la Galicie orientale ! L’un des traits caractéristiques de ce système, c’est la nécessité où il se trouve d’enrichir la conscience publique d’une nouvelle catégorie de devoirs inconnue jusqu’à présent dans la morale chrétienne.

Un autre point bien établi, c’est qu’il n’y a aucune conséquence à tirer de cette circonstance que le prince régnant dans la Moscovie avait été pendant quelque temps le président plus ou moins obéi de l’association varègue, ou, pour être plus exact, de ce que le gouvernement de la Moscovie a pu être momentanément le vorort d’une confédération morte et enterrée depuis le commencement du XIIIe siècle. Non-seulement les dynasties varègues se sont éteintes dans la Moscovie en 1597 et dans les anciennes provinces en 1319, mais, d’après le témoignage de l’historien officiel de la Russie, les princes de la Moscovie n’exerçaient sur les bords du Dnieper aucune autorité dès le milieu du XIIIe siècle. Karamsine ajoute qu’ils ignoraient même les noms des princes de la branche aînée qui régnèrent à Kief jusqu’à l’arrivée des Lithuaniens. Les libres unions de 1340 et de 1386 et la convention de 1667 complétèrent par la suite l’état de possession de 1772, dont l’incontestable légitimité ne peut plus être l’objet d’un doute.

Mais ce n’est pas à cet ordre d’idées que s’arrêtent les préoccupations du moment. Les argumens dont s’arment les philologues et les historiens sont laissés dans l’ombre, et l’attention se détourne de ces études rétrospectives pour se porter sur les traités de Vienne. Au lieu de les rejeter ou de les rappeler de confiance, au lieu de les invoquer ou de les maudire sans les connaître, on les a lus, on les a étudiés, et l’on a reconnu qu’ils contenaient de précieuses garanties non-seulement pour le royaume, mais pour les anciennes provinces de Pologne. Les lettres d’Alexandre Ier, rapprochées des traités conclus entre les copartageans et du texte même de l’article 1er de l’acte général, ont permis de se former à ce sujet une opinion que les

  1. Voyez la Revue du 1er juin.