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contre une lettre publiée dans un journal local par M. Casimir Perier. Cette fois c’est au pouvoir judiciaire qu’on a recours. Le procureur-général annonce les poursuites au préfet, et celui-ci, au moment même de l’élection, répand en affiches la communication du procureur-général, la fait lire dans les communes par les gardes champêtres à son de caisse ou à son de trompe, interrompt le service de la poste pour employer les facteurs à la plus prompte distribution des affiches officielles. Ces faits sont curieux assurément, ils se reproduisent à peu près dans toutes les élections contestées ; malgré la monotonie des répétitions, il sera bon de les porter tous à la connaissance du public : en se multipliant et en se généralisant, ils prennent un caractère systématique, ils fournissent des traits destinés à tracer une page significative de l’histoire d’un système. Mais un enseignement plus haut s’en dégage. Ces faits sont en contradiction avec les principes de toutes les constitutions modernes, qui établissent la liberté politique sur la division des pouvoirs. Il y a des lois de la mécanique politique non moins positives, non moins certaines, non moins nécessaires que celles de la mécanique physique. Ces lois, fondées sur les rapports du pouvoir exécutif, du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire, ont été exposées depuis un siècle avec une éblouissante clarté. Il est impossible qu’elles demeurent longtemps méconnues et comme ignorées dans le pays de Montesquieu, de Mirabeau, de Sieyès, de Royer-Collard. Ces lois proclament que la division des pouvoirs c’est la liberté, que leur confusion c’est le despotisme. Or quel empiétement plus grand le pouvoir exécutif peut-il commettre sur le pouvoir législatif que d’intervenir à l’origine même de celui-ci, qui est l’élection des députés, pour influer de toute sa force sur la direction des suffrages ? Une confusion aussi abusive des pouvoirs est radicalement contraire a la constitution de 1852. Un des objets principaux de cette constitution a été de garantir le pouvoir exécutif contre ce que l’on a considéré comme des usurpations du pouvoir législatif. Cette constitution, dont on a fait consister le mérite dans une délimitation meilleure des pouvoirs, ne peut sanctionner l’absorption indirecte du pouvoir législatif par le pouvoir exécutif. Quand donc, avec les faits des dernières élections générales sous les yeux, on demandera la liberté du suffrage universel, lorsque, devant le spectacle de la prépondérance abusive des agens du pouvoir exécutif, on réclamera la liberté de la presse et les franchises de l’opinion publique, contre-poids naturel et nécessaire des abus de l’influence administrative, on ne fera que défendre cette constitution contre des interprètes maladroits qui n’en comprennent pas le sens et des agens inconsidérés qui, à l’application, ne craignent point d’en dénaturer l’esprit.

Toute la question intérieure est là. En portant une lumière éclatante sur ce point capital de notre droit constitutionnel, l’opposition démocratique et libérale de la chambre peut, comme par une illumination subite, chan-