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par M. Elphinstone et par la Revue d’Edimbourg[1], sous cet unique prétexte de la différence absolue qui existe entre l’idiome hébreu et la langue puchtu. À cette différence que les circonstances historiques peuvent expliquer, nous opposerons le génie même de la race afghane, identique à celui de la race juive : cette énergie indomptable, cette force de résistance, ce besoin de secouer toute espèce de joug, cette volonté d’user toute oppression qui se retrouve chez les tribus du Wilayat aussi bien que chez les fractions du peuple d’Israël disséminées dans tous les pays connus. Cette indépendance farouche, source d’anarchie et de désordres fort graves, ne les en avait pas moins signalés à l’estime, je dirais presque au respect de M. Elphinstone. Après avoir vu, pendant ses longs voyages à travers l’Asie, l’esclavage sous toutes ses formes, la tyrannie partout triomphante, il lui plaisait, à ce fier Anglais, de retrouver enfin l’homme debout, regardant en face ceux qui prétendent le dominer, et leur disputant pied à pied les privilèges d’une autorité abusive. Dans les assemblées de la tribu (Jirgas), dans celles des chefs de tribus, tenues autour du khan lui-même, il reconnaissait cette distribution patriarcale du pouvoir qui garantissait la liberté relative des membres du clan d’Ecosse. Le khannat d’ailleurs n’étant pas héréditaire, l’ascendant du chef de clan se trouvait limité. C’était un magistrat plutôt qu’un prince, tenu de plus à respecter, outre les lois du Koran, le droit traditionnel et coutumier du pays, le puchtimwalah, sans compter les prescriptions impérieuses de cet autre code non écrit, celui « de l’honneur afghan » (nang-i-putchana), qui est à chaque instant invoqué par ces orgueilleux montagnards.


« Rien ne saurait mieux rappeler ce qu’était jadis l’Ecosse, dit M. Elphinstone, dont nous abrégeons une des pages les plus éloquentes : le roi exerçant un pouvoir presque illimité sur les villes et leurs territoires adjacens, les clans les plus voisins dans une sujétion très précaire, les plus éloignés jouissant d’une indépendance presque absolue; mêmes intrigues et mêmes factions parmi les nobles en rapport avec la cour, mêmes relations entre les grands vassaux et le souverain. Cet ordre de choses a ses inconvéniens, je l’avoue, et on peut se demander s’il engendre la même somme de bon ordre, de tranquillité, de bonheur par conséquent, que peut donner une monarchie absolue, même d’après le régime asiatique. Je crois qu’en posant ainsi la question, on se placerait à un point de vue erroné. Les Afghans aiment leur constitution populaire, l’intérêt qu’elle met dans leur existence agitée, les notions d’indépendance et de dignité personnelles qui se trouvent ainsi maintenues chez eux, le courage, l’intelligence qu’elle les oblige à déployer, et l’élévation de caractère que cette activité, cette indépendance ne peuvent manquer de leur procurer.

  1. Vol. XXV, n° d’octobre 1815.