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dans tous les cas l’extermination de la nationalité polonaise ; ils reconnaissaient au contraire cette nationalité, ils l’entouraient de garanties partielles, et c’est même la seule dont ils aient parlé en l’appelant par son nom. Ils pouvaient protéger un développement régulier dont l’avenir eût dit le dernier mot. Ce qu’ils auraient pu faire encore, je n’en sais rien, et ce n’est plus que d’un médiocre intérêt. Ce qui est certain, c’est qu’ils ont disparu dans le tumulte des événemens, dans des violations successives qui, au dire de M. Proudhon, les recommandaient à la considération du monde, et la Russie en est venue à ce point de prétendre même soustraire à la juridiction de l’Europe les provinces auxquelles elle s’était engagée à donner « une représentation et des institutions nationales. » Par une gradation ingénieuse, les provinces de Lithuanie et de Ruthénie ont commencé par être, dans le langage officiel russe, « les provinces incorporées à l’empire, » elles sont devenues bientôt « les provinces reconquises, » et elles ont fini par être simplement « les provinces occidentales de l’empire. » Voilà ce que sont devenus les traités stipulant des institutions a destinées à conserver la nationalité polonaise. » L’œuvre de Vienne pût-elle d’ailleurs être rétablie, à quoi servirait-elle ? On verrait alors recommencer infailliblement cette série de froissemens et de conflits où la force reste toujours victorieuse ; ce ne serait point certes une paix durable, ce serait à peine une paix précaire. La lutte renaîtrait comme elle est née, terrible et implacable.

C’est qu’en effet ce n’est plus une question d’interprétation des traités. La lutte inévitable, toujours renaissante, tient à des causes bien autrement profondes, et c’est ici que ces pages sur les Conditions d’une paix durable prennent surtout un singulier caractère de nouveauté en dépeignant cette incompatibilité absolue qui ne fait que s’aggraver entre la société polonaise et la Russie, l’impossibilité de trouver la paix dans les transactions, justement parce que, si la Pologne est toujours conduite à revendiquer sa liberté, son droit national et social, c’est d’un autre côté une fatalité pour la Russie de chercher à briser cet obstacle. Ce n’est point une fatalité de croissance légitime, c’est une fatalité d’ambition et de tradition. À vrai dire, la sphère d’action légitime de la Russie proprement dite ne va pas au-delà du Dnieper ; c’est là sa frontière naturelle comme nation. Le jour où elle a franchi cette limite, elle a été contrainte à procéder par les assimilations violentes, à exterminer, à maintenir sa domination par la force, et elle a été réduite à marcher toujours en avant pour sa défense. La politique d’envahissement est née avec Pierre le Grand, et cette politique a eu pour la Russie elle-même deux résultats également désastreux : d’abord l’effacement de l’intérêt national russe, la création abstraite de l’état, de l’autocratie comme moyen de gouvernement intérieur, et la conquête au dehors.

C’est ce système qui, à travers des alternatives de réaction, n’a cessé de