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elle pourrait exciter des sympathies sans espérer un secours ; mais dans ce duel inégal et sanglant c’est l’intérêt de l’Europe qui se rencontre face à face avec un ennemi plus redoutable que tous ceux qu’il a rencontrés, c’est la liberté de tous qui est en péril, c’est la paix du monde qui a son nœud à Varsovie et à Wilna. Point de sécurité pour l’Occident, à coup sûr, si la Russie reste définitivement victorieuse sur la ruine de tous les droits et de toutes les garanties ! Point de paix durable, si on la cherche dans des transactions équivoques dont les traités de 1815 ont dit le dernier mot, et qui ont conduit l’Europe au bord de l’abîme ! — Je laisse à juger où est la vérité, la justice, la raison prévoyante, entre les tranchantes, les cruelles fantaisies de M. Proudhon et ces vigoureuses déductions d’un esprit méditatif et pénétrant, entre ces deux ordres d’idées que je ne rapproche que parce que le hasard les réunit en présence d’une situation où s’agite là destinée même du monde contemporain allant aujourd’hui à la dérive.

Certes les traités de 1815 ont eu à passer par d’étranges épreuves depuis qu’ils existent ; ils ont eu des mésaventures où chacun a sa part, les gouvernemens aussi bien que les peuples ; ils ont eu notamment, on n’en peut douter, une mauvaise journée le 5 novembre, lorsque l’empereur laissait tomber sur eux ces paroles qui ressemblaient à une oraison funèbre ou à une épitaphe, et dont la foudroyante vérité était attestée par le nom, par la présence même de celui qui les prononçait. L’histoire contemporaine ne s’est faite en quelque sorte et ne se fait que par la démolition progressive de l’œuvre de 1815, atteinte de toutes parts dans son esprit comme dans ses dispositions. Il ne manquait plus aux traités devienne, pour dernière aventure et pour suprême condamnation, que de trouver le dangereux appui, l’enthousiasme meurtrier de M. Proudhon. Après cela, ils sont bien évidemment finis, ils ne se relèveront pas de ce coup d’une apologie peut-être plus étrange qu’absolument, imprévue. M. Proudhon aime en effet à être seul, — seul au milieu de son parti, au milieu de tous les partis. Que dis-je ? Seul il forme son parti, seul il constitue une opinion, et dès que tout le monde en venait à être visiblement dénué d’enthousiasme pour les traités de 1815, dès que tous les esprits tourmentés de malaise semblaient aspirer à un ordre nouveau ouvrant une issue aux droits des peuples, il était facile de prévoir que M. Proudhon, expert aux miracles de dialectique, toujours prompt à se jeter sur les thèses compromises, entreprendrait de défendre ce qu’on ne défend guère plus, et voudrait surprendre tout le monde en flagrant délit d’inconséquence et d’erreur. — Ah ! vous tous, esprits vulgaires, peu ouverts à la logique nouvelle, retardataires de la démocratie et du libéralisme, agitateurs de vieilles idées et de vieux drapeaux, vous croyez que les traités de Vienne sont menacés dans leur existence, parce qu’ils ont été cent fois violés ! Vous vous figurez peut-être que l’ordre fondé en 1815 n’a point été tout ce qu’il y a de