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que le parlement passait le temps à glaner dans le champ moissonné par sir Robert Peel, l’apparition du puséyisme excitait les craintes du protestantisme, et les affaires d’Italie ses espérances. La malencontreuse division de l’Angleterre en provinces ecclésiastiques (ce qu’on a appelé « l’agression papale ») est venue surexciter la passion nationale. Chaque jour le docteur Cullen multiplie les obstacles; les catholiques ont perdu leur influence au parlement, et la question dont dépend l’avenir de l’Irlande paraît plus que jamais éloignée d’une solution.

Néanmoins, bien que les apparences soient aujourd’hui contraires, il n’est pas impossible qu’un parlement britannique réforme une église protestante et rende justice à une église catholique. Il ne s’agit pas ici de l’église anglicane en Angleterre, mais de l’église anglicane en Irlande; il ne s’agit pas d’une église protestante pour les protestans, mais d’une église protestante pour les catholiques. Autant les personnes sont respectables, autant l’institution est monstrueuse. Déjà l’aristocratie anglaise a brisé les privilèges de l’aristocratie irlandaise pour ne point paraître complice de la misère de l’Irlande. L’église établie d’Angleterre à son tour trouvera qu’il est dur d’être tenu responsable de la famine d’un pays, et le peuple anglais se demandera si la satisfaction d’avoir dans chaque paroisse d’Irlande un gentleman accompli, qui ne peut pas toujours réciter son sermon, parce que les règlemens exigent la présence de trois personnes, n’est pas achetée bien cher quand elle est payée par le mécontentement, la rébellion et la détresse d’une nation entière. Il se demandera si c’est un bon calcul d’avoir à côté de soi le dénûment et la misère, quand, par un simple acte d’équité, on créerait la prospérité et la consommation. Espérons, car l’Angleterre est un pays libre et une société chrétienne. Son sentiment religieux s’est égaré en ce qui touche l’Irlande; il peut revenir à la justice. S’il n’est pas vrai, comme on le prétend, que la vapeur et les chemins de fer aient détruit les distances morales, étouffe, les haines nationales et rendu les guerres impossibles, nous sommes. cependant dans un siècle où l’on se demande quelquefois : Ce qui est doit-il être?


JULES DE LASTEYRIE.