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politique et l’émancipation des catholiques, puis maintenir la suprématie protestante, refuser l’égalité au clergé catholique d’Irlande quand on a reconnu les droits du presbytérianisme en Écosse, sous prétexte que l’Irlande a été une conquête et l’Écosse une annexion, c’est agiter le drapeau rouge devant le taureau dans l’arène, c’est pousser le peuple à la haine, c’est perpétuer le souvenir de l’oppression chez ceux auxquels on a donné les armes de la liberté, c’est maintenir le clergé catholique dans une situation qui n’est bonne ni pour la société, ni pour le gouvernement, ni pour la religion. Il y a vingt ans, quand M. de Beaumont et M. de Cavour écrivaient sur l’Irlande, on ne pouvait pas mesurer l’importance relative des diverses questions; les griefs étaient trop nombreux et trop mêlés les uns aux autres. Aujourd’hui, après toutes les réformes accomplies et le peu de succès des efforts, après vingt ans d’émigration, quinze ans de loi des pauvres et douze ans de la cour des Encumbered Estates, après tous les chemins de fer et toutes les institutions de crédit, il apparaît clairement que la cause fondamentale du malaise social qui perpétue la détresse est une cause morale et religieuse. Rendons hommage à M. de Beaumont et à M. de Cavour; ils ont senti et exprimé avec force les malheurs qui résultent de la situation du clergé. Le livre de M. de Beaumont est trop répandu pour qu’il soit besoin de le citer; mais le lecteur sera sans doute bien aise de connaître l’opinion de M. de Cavour en faveur du clergé catholique d’Irlande. Je la transcris[1], sans me faire solidaire de la façon sommaire dont est traité un clergé protestant que son savoir et ses vertus rendent digne de tous les ménagemens.

M. de Cavour commence par rappeler tout ce qui a été fait en faveur de l’Irlande depuis l’émancipation des catholiques; ensuite il examine successivement, sous les divers rapports financiers, économiques, sociaux et religieux, en quoi l’union de l’Angleterre et de l’Irlande a pu être avantageuse ou contraire à ce dernier pays, et il conclut en faveur de l’union. Parlant de la question religieuse, il s’exprime ainsi :


« Si le rappel de l’union avait lieu, la conduite d’un parlement irlandais à l’égard de l’église anglicane ne serait pas longtemps douteuse : on la réformerait, ou plutôt on la renverserait de fond en comble. O’Connell prétend que les droits actuels des possesseurs seraient respectés. J’en doute

  1. L’écrit de M. de Cavour sur l’Irlande a été publié en français sous la forme de lettres insérées dans la Bibliothèque universelle de Genève (décembre 1843, janvier 1844). M. de Cavour lui-même composa de ces lettres un corps d’ouvrage qui fut traduit et publié en anglais. Je n’ai que le texte anglais; mais la traduction est telle qu’on lit en quelque sorte le mot français sous chaque mot anglais.