Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/98

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce fut sans doute à la libéralité de Scipion Émilien que Térence dut ses jardins sur la voie Appienne aux portes de la ville, et qui avaient vingt arpens. Comme ils sont indiqués près du temple de Mars, il faut les chercher dans les jardins qui encore aujourd’hui occupent les environs du tombeau des Scipions : les tombeaux étaient souvent attenans à une propriété ; on peut donc croire que les jardins de Térence avaient été détachés d’une propriété des Scipions. Posséder des jardins de vingt arpens était une fortune assez nouvelle pour un poète, et l’existence de Térence était assez différente de celle d’Ennius dans sa petite maison de l’Aventin avec une seule esclave. Évidemment la condition des hommes de lettres allait s’améliorant.

Un buste de Térence, dont l’authenticité est loin d’être certaine, a été trouvé près de la voie Appienne ; mais dans la société d’Emilien et de Térence j’oublie les graves événemens qui s’accomplissent à Rome : je fais comme Scipion et Lælius, je m’amuse à ramasser des coquilles au bord de la mer. Revenons. Un jour, Scipion Emilien avait exposé ses plans de résistance dans le sénat, où ils avaient eu beaucoup de succès. Le lendemain il voulait les exposer devant le peuple. Le peuple s’était rassemblé en grand nombre dans le Forum pour l’entendre. Un de ses adversaires dans le sénat, où il en avait aussi, parut et s’écria : « Les remparts de Rome sont tombés ; Scipion est mort égorgé durant son sommeil dans sa propre maison ! » Le Forum fut consterné. Cette mort soudaine de Scipion Emilien fut attribuée au parti populaire, que Scipion s’était plu à irriter et à braver en plein Forum. Quelques-uns pensèrent qu’il s’était ôté la vie parce qu’il sentait la cause de l’aristocratie perdue, à peu près comme Scipion l’Africain s’était exilé, et comme plus tard abdiqua Sylla. Rien cependant n’avait pu faire prévoir un tel dessein, et je crois plutôt à un assassinat politique, funestes représailles du meurtre de Tiberius. On en accusa, contre toute vraisemblance, le jeune Caïus Gracchus et sa mère Cornélie. Il est peu honorable à Cicéron d’avoir fait plusieurs fois allusion à ces bruits calomnieux sans les articuler nettement, ou sans y répondre. La postérité ne les a pas crus. Cornélie et C. Gracchus étaient également incapables d’une pareille infamie.

Caïus Gracchus est un personnage encore plus intéressant que son frère aîné ; il sait les dangers de l’entreprise que ce frère a tentée et qui lui a coûté la vie. Comme il le dit un jour dans le Forum, il a hésité avant de s’y engager, il s’est demandé s’il fallait s’exposer à y périr, lui et son enfant, le seul reste de la famille Sempronia. Son frère Tiberius lui apparaît dans un songe et lui dit : « Hésite tant que tu voudras, il faudra que tu meures comme moi. » Caïus