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opprimée et dépouillée à laquelle on pourrait rendre justice : c’est une Irlande libre qui est mécontente et offensée, c’est une Irlande peu imposée, en proie à la détresse et à la famine. Écoutez ce qui s’est dit, lisez ce qui s’est écrit, voyez ce qui se prépare cette année même, l’une des plus calmes, l’une des plus heureuses qu’ait connues l’Irlande.

Au mois d’août 1863, sur la colline de Dunamon, dans le comté de Tipperary, s’est tenu, par une pluie battante, un meeting en plein air auquel assistaient huit cents cultivateurs et paysans. Le président commença par recommander au peuple de ne pas se fier aux orateurs et au parlement britannique pour le redressement de ses griefs. « Les Irlandais qui veulent servir leur pays doivent courtiser la déesse Liberté de la seule manière dont on puisse mériter ses faveurs. Prenons exemple sur les Polonais ! Cela peut être dangereux, je l’admets; mais le but ne sera pas atteint sans danger, sans sacrifices et sans souffrances. Avant longtemps, les braves Finiens[1] s’assembleront dans leur force... » Une résolution fut proposée aussitôt et fut soutenue en des termes qu’il faut reproduire textuellement :


« Ce que nous voulons, c’est un gouvernement national, et l’Angleterre nous le refuse. Lord Palmerston a dit au parlement qu’il ne voulait pas intervenir dans les affaires intérieures des Irlandais et qu’il fallait les laisser eux-mêmes livrer leurs batailles entre landlords et tenants. L’Angleterre ne se soucie pas de l’Irlande, et les ministres anglais ne s’inquiètent pas de savoir si vingt propriétaires sont tués par jour et si cinquante paysans sont pendus pour chaque propriétaire assassiné ! (Une voix : Ils voudraient qu’il y eût plus de paysans de pendus! Une autre : Ils le veulent ! — Applaudissemens et cris : A bas les propriétaires!) Le gouvernement anglais entretient la police pour massacrer les restes de la population irlandaise. (Cris de fureur.) C’est pour cela que la police a des épées et des fusils, ce n’est pas pour arrêter les meurtriers et les assassins. L’aristocratie irlandaise est une troupe de chiens avides de sang; elle n’a idée ni de la liberté ni de la patrie ; elle est, sous forme de bipèdes, la dernière classe des êtres de la création ! Aucune nation chrétienne n’a été soumise au même degré d’humiliation, de tyrannie et de persécution que l’infortunée race irlandaise... » (Tonnerre d’applaudissemens.)

« Nous n’avons pas besoin d’aristocrates (dit un second orateur, venant appuyer la motion du premier); nous avons besoin de mains durcies par le travail, de cœurs forts et intrépides, d’hommes capables de saisir la pique. Les Irlandais doivent se rappeler que jamais une nation n’a conquis l’indépendance sans verser plus ou moins de sang; (Applaudissemens.) Si après des années de pétitions au parlement anglais, si après des années où l’on a envoyé des représentai, — des non-représentans! — au parlement,

  1. Dans le langage des associations secrètes, les Irlandais s’appellent Finiens.