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interpréter à son point de vue, » ajoutant toutefois que « l’exercice d’un tel droit ne peut aboutir à aucun résultat pratique, » et se réservant à elle-même le soin de fixer la limite de ses engagemens. — On proposait à la Russie la réunion d’une conférence européenne; elle évinçait audacieusement la France et l’Angleterre, et, par une diversion d’une habileté trop transparente pour réussir, elle conviait l’Autriche à une conférence des puissances copartageantes de la Pologne. On lui présentait les six points; elle triomphait en montrant que rien de tout cela n’était à faire, qu’on lui demandait ce qu’elle avait accordé depuis longtemps déjà. — On proposait une suspension d’armes; elle répondait que le seul armistice possible, c’était la soumission absolue de la Pologne. Et ce n’est pas même une dépêche hautaine qui était la réponse la plus significative de la Russie à l’Europe : cette réponse, c’était le redoublement des rigueurs en Pologne, l’excès croissant des répressions, Mouravief envoyé à Wilna, les exécutions et les confiscations se multipliant au moment même où l’intervention européenne parlait d’humanité, de paix, de justice et de droit.

Quoi encore? Lorsque l’Europe, ralliée après un instant de surprise, a voulu faire une dernière tentative, en mettant la Russie en face de la responsabilité qu’elle assumait, le prince Gortchakof a répondu lestement qu’il était inutile de prolonger ce débat, et que la Russie acceptait volontiers la responsabilité de sa politique. Quel sens, quel résultat pouvait avoir une telle déclaration, qui ne laisse plus même une fissure par où la diplomatie puisse se glisser? C’était évidemment un décret d’abrogation du droit public dédaigneusement promulgué et jeté à l’Europe comme un défi, et la conséquence la plus palpable, la plus irrésistible, c’est celle que lord John Russell laissait entrevoir récemment dans le discours qu’il adressait aux convives du banquet de Rlairgowrie. « Quelle conduite, disait-il, pourront suivre les différentes puissances de l’Europe? Ce n’est pas une question dans laquelle je puisse entrer avec convenance. Je désirais seulement vous faire remarquer que les conditions qui sont contenues dans le traité de Vienne, et en vertu desquelles la Russie a obtenu le royaume de Pologne, n’ont pas été remplies, et que sans les conditions de l’engagement le titre lui-même peut difficilement être maintenu. » De telle sorte qu’après ces huit mois de guerre et de diplomatie, de luttes sanglantes et de négociations infructueuses, la Russie apparaît tout à la fois — moralement déchue de son titre de gouvernement régulier en Pologne, condamnée par sa propre impuissance autant que par la nature de sa politique, — diplomatiquement déchue aussi par la conséquence irrésistible de la violation de tous les droits et de ce refus dédaigneux