Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/964

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’ont protégée ni dans le droit de sa nationalité, ni dans sa religion, ni dans sa langue, ni dans ses mœurs. Et cela est si vrai que l’impuissance de ces traités est la raison même de l’intervention.

Il y avait une autre cause évidente de faiblesse et d’inefficacité dans la forme même de cette démonstration, qui n’était qu’à demi collective : c’était la différence de langage. Des notes entièrement semblables eussent représenté un accord réel, une pensée commune, une volonté nette et arrêtée ; des notes séparées et différentes laissaient entrevoir ce qu’il y avait de distinct, peut-être même parfois de contradictoire, dans des politiques un moment rapprochées sans être alliées. Il y avait ou un piège pour la Russie, si l’entente était plus réelle qu’elle ne le paraissait, ou un péril d’inefficacité. La France, si je ne me trompe, le sentait et le disait, et si, après avoir proposé les notes identiques, elle accédait au système des notes séparées, si elle recevait des mains de l’Angleterre le programme des traités de 1815, des mains de l’Autriche les six points, c’était pour ne point diminuer la force collective de la démonstration, pour maintenir la question polonaise sur le terrain d’une grande affaire européenne. Faire vivre cette entente formée en présence de l’insurrection polonaise, c’était sans doute un point gagné. Seulement pour l’instant l’apparence de l’action commune masquait à peine les difficultés intimes. C’était la faiblesse de l’intervention et la force de la Russie.

La Russie, à vrai dire, ne s’y est point trompée, et depuis le premier instant elle a déployé une tactique supérieure dans ce duel diplomatique, faisant face aux uns et aux autres d’un ton qui variait suivant les cabinets auxquels elle s’adressait et suivant les momens où elle parlait. Elle a bien vu ce qu’il pouvait y avoir dans cette intervention d’embarras naissant de situations diverses, de préoccupations ou de défiances cachées. Au fond, elle n’avait qu’une pensée, celle de gagner du temps. Placée en face d’une insurrection formidable et d’une intervention européenne qui, étant un secours moral, une promesse pour la Pologne en armes, pouvait changer de nature, elle a proportionné son action, son attitude et son langage aux circonstances. Au premier moment, lorsque l’été commençait à peine, elle n’a point opposé à la démonstration diplomatique de l’Europe un refus qui eût créé peut-être la nécessité d’une résolution immédiate. Elle se montrait presque conciliante, ironiquement courtoise, facile à toutes les négociations, et mettant une dextérité railleuse à amuser l’Europe de dialogues diplomatiques, tandis qu’elle frappait en Pologne. Trois mois après, l’été s’avançait, et elle se relevait dans sa hauteur. — On lui parlait des traités de 1815; elle voulait bien encore accorder à l’Europe « le droit de les