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Ce qui était possible en présence d’une crise grandissante, c’était une intelligence entre la France, l’Angleterre et l’Autriche moralement et progressivement détachée de ce faisceau d’oppression dont la Pologne a été la malheureuse victime, et ici encore de singulières difficultés surgissaient à chaque pas. Je ne parle pas même de ces embarras intimes que les événemens des dernières années ont pu susciter, des souvenirs que la guerre d’Italie a pu laisser comme un nuage entre l’Autriche et la France, des défiances que l’annexion de la Savoie a pu faire naître entre la France et l’Angleterre, de ce malaise enfin qui travaille l’Europe tout entière et fait de toutes les politiques une véritable énigme. Au fond, devant cette question de Pologne se réveillant tout à coup de la façon la plus émouvante, ce qui semblait possible pour la France et l’Angleterre pouvait ne pas l’être également pour la cour, de Vienne; les considérations qui avaient le caractère le plus sérieux pour l’Autriche pouvaient avoir moins de valeur ou être tout à fait indifférentes pour les deux autres puissances. Pour la France, rien n’était plus simple que de répondre à cet appel d’une nation aspirant à revivre et de se montrer prête à entrer dans une intervention qui, sans conduire nécessairement à une action plus décisive, pouvait cependant en laisser entrevoir la possibilité. Ses traditions, le sentiment d’un intérêt éclatant, la logique de sa situation en Europe, la force de l’opinion, tout la portait en avant, et les rapports de courtoisie mutuelle qu’elle avait paru quelquefois accepter ou rechercher dans ces dernières années avec la Russie n’étaient point de nature à lui imposer le sacrifice d’une question qui répond à toutes les aspirations de sa politique. On pourrait dire, je crois, que la France était d’instinct à la disposition des événemens.

Pour l’Angleterre, l’insurrection polonaise ne la trouvait pas assurément insensible. Le peuple anglais a ce souverain mérite, que l’oppression le révolte partout où elle éclate, que la violation du droit et de la dignité humaine provoque chez lui une indignation virile, et qu’il n’hésite pas à dévoiler dans toute leur nudité les excès de la force, comme il dévoile parfois ses propres plaies. L’insurrection polonaise faisait vibrer ce sentiment libéral qui retentissait dans la presse, dans le parlement, dans les meetings. Les peintures les plus inexorables des scènes qui se passent en Pologne ont été tracées par des Anglais; les paroles les plus dures, les plus acerbes, adressées à la Russie, sont dans les dépêches de lord John Russell ; mais en même temps c’était une illusion de croire que cette manifestation de la conscience anglaise, provoquée par la politique russe, impliquait la pensée d’accepter les conséquences d’une intervention résolue. L’Angleterre avait une théorie, c’est que les traités