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Etendre la main sur cette cause polonaise pour la ramener à la juridiction de l’Europe, c’était là l’évidente pensée d’un acte d’intervention diplomatique accompli à ce moment; mais sous quelle forme pouvait se produire cette pensée? Jusqu’à quelle limite pouvait aller cette intervention ? Quelles étaient les puissances qui pouvaient se rallier sur un terrain commun, et dans quelles dispositions les événemens de Pologne trouvaient-ils par le fait ces diverses puissances? Il y en avait une d’abord de qui l’on ne devait rien attendre qu’une hostilité possible : c’est la Prusse, liée par cette récente convention de février, qui se serait changée depuis peut-être en une alliance plus active, si M. de Bismark ne se fût senti intimidé par l’opinion publique en Prusse et par le sentiment universel de l’Europe.

La Prusse du reste, la Prusse telle que la fait M. de Bismark, ne s’est nullement cachée. Non-seulement elle s’est toujours refusée à toute sollicitation collective ou isolée de concessions libérales à Pétersbourg; elle n’a même pas craint d’avouer que depuis deux ans elle n’avait cessé de donner des conseils contraires. Sir A. Buchanan, ministre anglais à Berlin, se charge de transmettre ces confidences à lord John Russell, à qui il écrit : « M. de Bismark dit... que, ce qu’il m’a laissé entrevoir au sujet du dangereux voisinage qui résulterait nécessairement pour la Prusse d’une Pologne indépendante a dû me convaincre que le gouvernement prussien ne pouvait pas insister auprès de la Russie, pour lui faire adopter des mesures dont l’inévitable tendance serait le rétablissement de la nationalité polonaise. Il dit que les concessions que le gouvernement de la reine recommande à l’empereur de Russie d’accorder à ses sujets polonais ne les satisferaient pas. Tout ce qu’ils obtiendraient aujourd’hui ne leur servirait que comme un moyen d’arriver à l’indépendance future et d’arracher les provinces polonaises à la Russie, à l’Autriche et à la Prusse. Le gouvernement de la reine ne saurait donc espérer que la Prusse puisse se joindre à lui dans les mesures qu’elle croyait conduire à un tel résultat... » Dans une autre occasion, sir A. Buchanan insiste, essaie de piquer M. de Bismark en lui montrant les sympathies européennes se retirant de la Prusse, et M. de Bismark répond « qu’il est impossible à la Prusse de changer la politique qu’elle a suivie depuis deux ans. Après avoir pendant tout ce temps averti l’empereur de Russie des conséquences inévitables des encouragemens aux aspirations nationales de la Pologne, la Prusse ne peut lui recommander maintenant d’accorder aux Polonais l’autonomie qu’on réclame. » La Prusse moins libérale que la Russie et gourmandant celle-ci pour ses encouragemens aux aspirations polonaises, voilà tout juste où M. de Bismark en était la veille de l’insurrection !