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étreinte sanglante, et l’Occident, provoqué à regarder de nouveau en face l’inévitable problème; ils ont fait de l’insurrection polonaise une question qui dépasse les frontières pour devenir européenne. Européenne, elle l’était à coup sûr par tous les caractères de la lutte, par le retentissement de cette détresse héroïque d’un peuple dans l’opinion, par le rapport intime qui la lie à tout ce qui s’agite dans le monde, et par la nature même de la domination russe en Pologne, domination définie par des traités, limitée et balancée par un ensemble de garanties incorporées en quelque sorte au droit public. De plus, elle se présentait comme une question que l’Europe avait essayé de soulever au moment où elle évoquait la question italienne dans le congrès de Paris, en 1856, et devant laquelle elle ne s’était arrêtée que sur la foi des promesses, des engagemens moraux du gouvernement russe, offrant de faire pour la Pologne plus qu’on ne pourrait lui demander.

Ce n’était pas beaucoup cette tentative de 1856, c’était un germe caché dans le secret des délibérations d’un congrès, et c’était en outre la preuve palpable que l’Occident ne se désintéressait pas des affaires polonaises, laissées pour l’instant dans l’ombre et comme en réserve. En suivant la politique la plus malheureuse, la mieux faite pour enflammer la Pologne sans la satisfaire, en excitant des espérances aussitôt violemment déçues, en se rejetant sans cesse des concessions apparentes dans une recrudescence de répression, en tentant au dernier moment ce coup hardi du recrutement qui soulevait la Pologne, la Russie remettait tout à coup l’Occident en présence d’une situation qu’il avait essayé d’éluder. Elle ravivait une plaie, elle jetait un défi à l’opinion, toujours prompte à s’émouvoir, et elle rappelait sur elle, sur sa politique, sur le caractère de sa domination en Pologne, l’attention des gouvernemens. En un mot, elle créait une de ces complications qui impriment une secousse à l’Europe tout entière et s’imposent à toutes les politiques. Tant que l’insurrection n’en était qu’à sa première explosion et n’apparaissait que comme un soulèvement spontané aux proportions indistinctes, l’Europe cependant ne se hâtait point : elle était plus troublée, plus remuée et plus incertaine que résolue à une action diplomatique précise. L’opinion pouvait saisir aussitôt, par une inspiration instinctive, la portée de ce réveil irrésistible d’une nationalité; pour les gouvernemens, il n’y avait encore qu’un fait provoqué évidemment par la politique russe, attestant une fois de plus la condition misérable et impossible de tout un peuple, mais ne dépassant pas la mesure d’un mouvement local.

Comment cette situation changeait-elle rapidement? D’abord sans doute par la force, par le développement irrésistible et chaque jour