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ses enfans, lui demandant de les protéger, eux et sa veuve, quand il ne serait plus : il commençait à pressentir son sort. Le peuple fut ému ; un grand nombre de citoyens allèrent dresser des tentes autour de sa maison, sur le Palatin, et y veillèrent la nuit suivante pour le garder.

Le jour d’après, le peuple se rassembla, non plus dans le Forum, mais sur le Capitole. Nous avons vu que c’était parfois un lieu d’assemblée, mais dans les circonstances présentes le choix qu’on fit de ce lieu élevé et fortifié avait quelque chose de menaçant. Tiberius sortit de bonne heure pour se rendre au Capitole. Comme il allait sortir, il apprit que les poulets sacrés avaient refusé de manger, il se souvint alors qu’un jour on avait trouvé dans son casque deux serpens. Au premier pas qu’il fit hors de sa maison, son pied heurta contre le seuil ; l’orteil, que la chaussure des Romains ne protégeait point, fut blessé, l’ongle fut brisé, et le sang parut à travers ses courroies. En traversant le Forum, entouré d’une grande foule qui l’accompagnait, il vit à sa gauche, c’était le côté de sa maison, deux corbeaux qui se battaient sur un toit, et une pierre détachée par l’un d’eux vint tomber à ses pieds. « Cela, dit Plutarque, arrêta les plus hardis de ceux qui entouraient Gracchus. » Lui-même fut au moment de rentrer ; mais un philosophe de Cumes, son familier, auquel on attribuait, ainsi qu’à plusieurs autres Grecs de son entourage, ses tendances démocratiques, plus esprit fort que ces Romains, le décida à continuer sa marche vers le Capitole ; en même temps il lui vint de là des messagers rassurans sur les dispositions du peuple, qui l’y attendait. En effet, il fut accueilli par de grands cris de joie, et l’affection populaire se montra par le soin que l’on mettait à ne laisser que des gens très sûrs approcher de sa personne. Évidemment on s’attendait à quelque violence de la part des patriciens : l’événement ne tarda pas à montrer qu’on avait raison.

Le vote des tribus commença au milieu d’un grand tumulte. La foule était considérable. La plate-forme du Capitole était comme aujourd’hui de peu d’étendue, de plus encombrée alors de petits temples et de statues. Ceux qui venaient derrière poussaient les autres et étaient repoussés ; mais dans tout cela on ne voit nulle trace d’un coup de main préparé par Gracchus. Tout à coup un de ses amis, L. Flaccus, monta sur un endroit élevé, probablement au haut des marches de quelque temple, et, sa voix ne pouvant être entendue, il lui fit signe qu’il avait quelque chose d’important à lui dire. Tiberius ordonne à la foule de s’ouvrir, Flaccus la traverse à grand’peine, arrive à un autre point élevé, sur lequel étaient placés les sièges des tribuns (ce devaient être les marches du temple de