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Lublin, ou deux cents jeunes gens, quelques-uns n'ayant pas vingt ans, tous à peine armés, se précipitaient sur l'artillerie russe, qui vomissait sur eux la mitraille. Ils restèrent tous sur le sol; mais ils avaient réussi à arrêter l'ennemi, et ils avaient laissé au gros de la bande le temps d'échapper par la retraite à la destruction. C'était là période de l’enthousiasme, de la révolte soudaine et passionnée de cet instinct viril que le recrutement avait fait éclater, et qui s'exaltait dans le combat.

Jusque-là cependant il n’y avait rien de plus. Des fugitifs jetés dans les bois par le recrutement, un mot d'ordre lancé par le comité de Varsovie, tous les impatiens de combat allant rejoindre les bandes, un frisson électrique courant dans le pays soulevé par une sympathie instinctive et par les premiers excès de la répression russe, c'était toute l'insurrection. Le parti modéré, sans être étranger d’âme et d’intelligence au mouvement, n'y avait point pris part encore. Le comité central ne s’y méprenait pas : il sentait bien que son énergie avait pu commencer l'insurrection, que l'héroïsme des combattans avait pu lui donner le premier lustre, mais que l’intervention seule des propriétaires de la noblesse et de la bourgeoisie pouvait lui donner la consistance, les ressources et surtout la force de l'unanimité du pays. Il pressait les modérés de se joindre à lui, et leur montrait le danger de laisser le mouvement dégénérer par désespoir, prendre un caractère purement révolutionnaire. Les modérés voyaient bien le danger. Ils. sentaient que, s'ils n'avaient eu aucune initiative dans l'insurrection, ils ne pouvaient rester à l'écart une fois qu'elle avait éclaté et livrer les combattans armés pour la cause commune, que c’était risquer de provoquer dans le pays des divisions profondes et préparer peut-être des déchiremens redoutables au jour de la défaite. Ce qui avait pu diviser les partis jusque-là n'existait plus en présence de l’insurrection et des excès de l'armée russe. Seulement les modérés demandaient que le gouvernement prît une forme plus régulière, plus visible, moins exclusive, qu'il y eût, en un mot un pouvoir nouveau faisant flotter aux yeux du pays, non le drapeau d’un parti, mais le drapeau national.

Où pouvait être alors ce pouvoir, si ce n'est dans un camp ? Ce fut là l'origine de la dictature de Langiewicz, de celui de tous ces jeunes chefs qui s'était montré le plus habile, le plus heureux, qui avait infligé aux Russes de véritables défaites, et qui était devenu populaire en quelques jours. Ce n'est pas l'ambition de Langiewicz qui allait au-devant de la dictature, c'est la dictature qui allait au-devant de lui; et j’ajouterai que le comité de Varsovie n'hésitait pas un instant à reconnaître ce pouvoir nouveau qui s'élevait comme le gage du rapprochement des partis et d'une action désormais