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bune se mettre à la disposition de Tiberius. La force était pour lui; mais, deux personnages consulaires l’ayant supplié de s’en rapporter à la décision du sénat, il y consentit. Le sénat ne se prononçait point; Tiberius, n’attendant rien d’un corps où la faction des riches dominait, assembla le peuple de nouveau dans le Forum. Cette fois il adjura encore Octavius avec douceur, et en lui prenant les deux mains, de céder, de ne pas résister au peuple, qui réclamait une chose juste, qui demandait bien peu en dédommagement de tant de maux, en récompense de tant de dangers. Octavius fut inflexible. Alors Tiberius dit : « Nous sommes tous deux des magistrats et différens sur un point de grande importance. Ceci peut amener la guerre civile; je ne vois qu’un remède, c’est que l’un de nous deux quitte sa charge. Que l’on vote d’abord sur Octavius, je rentrerai bien volontiers dans la vie privée, si telle est la volonté de mes concitoyens. » Octavius refusa de se soumettre à ce jugement, et c’était son droit. Tiberius l’avertit que ce vote aurait lieu, et pour lui donner le temps de changer d’avis par la réflexion, il renvoya l’assemblée au lendemain.

Le lendemain, Gracchus s’efforça encore de fléchir l’opiniâtre tribun, et, sur un dernier refus, mit sa déposition aux voix. Déjà elle avait été votée par dix-sept des trente-cinq tribuns; avant que le dix-huitième eût prononcé, Tiberius fit suspendre le vote; il supplia de nouveau Octavius, en l’embrassant, de ne pas s’exposer à la honte d’une telle déposition et de ne pas lui causer à lui-même le chagrin de l’avoir obtenue. En ce moment, Octavius parut incertain et, des larmes dans les yeux, demeura longtemps sans répondre; mais il jeta un regard sur les riches possesseurs de terres qui formaient dans le Forum un groupe considérable, il n’eut pas le courage de céder devant eux, et dit à Tiberius : « Agis comme il te plaira. » Alors, la majorité des tribuns ayant prononcé, Tiberius ordonna qu’on le fit descendre de la tribune où ils siégeaient tous deux. Cet ordre fut exécuté par un affranchi des Gracques, ce qui fit paraître la mesure encore plus odieuse. Probablement les serviteurs publics avaient été gagnés et ne se trouvaient point là. La multitude, toujours la même, voulut courir sus à Octavius; mais les riches vinrent à son secours. Un brave serviteur de sa maison, s’étant placé devant lui pour le défendre, fut maltraité et perdit la vie. Entendant ce bruit, Tiberius accourut avec beaucoup d’empressement. Octavius, arraché aux mains de la populace, était parvenu à s’échapper et à regagner la demeure de sa famille, la maison où naquit Auguste, remplacée après sa mort par son temple, au pied du Palatin, tout près du Forum.

Encouragé par son succès, Tiberius Gracchus mit en avant la pro-