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forment un tableau d'une grande richesse et d'une agréable variété. Au bout de cette plaine se trouve la ville de Kamakoura, célèbre dans les anciennes annales du Japon. Au XIIe siècle, elle servait de résidence à Yoritomo, général fameux par ses exploits et son ambition, et qui contribua beaucoup à faire passer le gouvernement du pays des mains du mikado entre celles des chiogouns ou taïkouns. A la suite d'une grande bataille livrée dans le voisinage de Kamakoura, cette ville fut presque entièrement détruite; cependant elle a conservé de magnifiques vestiges de son antique splendeur. Les rues y sont aussi larges que les plus belles de Yédo; les ponts, construits en pierre, ont résisté au temps et à l'abandon; le vaste parc qui environne les temples est le plus beau que j'aie vu au Japon. Une longue allée, bordée de chaque côté par un double rang d'arbres centenaires, conduit jusqu'à l'entrée du bocage sacré. Avant d'y pénétrer, le pèlerin passe sous plusieurs portails en granit qui, dans leur simplicité nue, sont d'une beauté imposante. Un fossé large et profond protège les approches du parc; sur l'eau qui l'alimente s'étalent les feuilles et les fleurs du lotus et du nénufar. On passe ce fossé sur deux ponts, l'un en pierre de taille, l'autre en bois verni de couleur rouge. Au-delà des ponts une place vide, de médiocre étendue, précède un vaste édifice défendu par des portes massives couvertes de plaques en cuivre: c'est la principale entrée du parc. Une douzaine de moines, ayant cet air stupide et insolent que donne un pouvoir incontesté et immérité, y montent la garde et examinent ceux qui entrent ou qui sortent. De cet endroit on embrasse d'un coup d'œil les principaux édifices du monastère de Kamakoura : à droite et à gauche s'élèvent deux temples antiques; en face, un magnifique escalier en pierre mène à une plate-forme qui sert d'assise à trois autres temples; celui du milieu, le plus grand et le plus beau, est la sainte et vénérée mia de Kamakoura. Le parc renferme encore beaucoup d'autres édifices de ce genre, bien bâtis, richement ornés et parfaitement entretenus, une belle pagode et plusieurs corps de logis qui servent d'habitations aux moines et aux nonnes de la communauté.

Il ne me fut pas permis de visiter l'intérieur de ces divers édifices. A peine avais-je mis le pied sous la porte d'entrée du parc qu'il se fit dans toute l'enceinte un mouvement extraordinaire ; on s'empressa de fermer, à l’aide de contrevents en bois, non-seulement les temples, mais aussi les habitations des prêtres et des prêtresses de la mia. On me donna plusieurs raisons de cette mesure tout à fait inusitée : les uns me dirent que le couvent renfermait des femmes adultères de haute naissance, qu'elles y expiaient leur faute, et que la vue des hommes leur était interdite; d'autres, dont