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qu’elles soumettent à l’approbation du congrès la constitution particulière quelles prétendent se donner; dans ces nouvelles constitutions, les vainqueurs ont le droit d’effacer toute trace de l’institution servile. Il suffit d’indiquer de telles dissidences pour faire comprendre les difficultés qu’un avenir prochain tient en réserve. Aussi, parmi les amis même de la cause fédérale, beaucoup s’inquiètent déjà des conséquences d’une victoire qu’ils appellent cependant de tous leurs vœux. Ils se demandent si les institutions démocratiques n’auront pas à souffrir des dures nécessités qui s’imposeront pendant longtemps peut-être aux provinces ramenées par les armes dans l’Union; l’opinion européenne, si habituée aux clameurs et aux plaintes des nations opprimées, cède surtout facilement à ces alarmes.

Jusqu’ici, il faut reconnaître pourtant que si le pouvoir exécutif a repris aux États-Unis une grande autorité, le jeu des institutions libres n’a en rien été troublé : tous les partis peuvent faire entendre leurs griefs à la tribune et dans la presse. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire les discours tenus par Fernando Wood dans les meetings de New-York ou les articles des journaux de la faction démocratique dont il est le chef décrié. Pas une goutte de sang n’a été versée hors des champs de bataille. La liberté des citoyens est aussi respectée que par le passé; la répression ne frappe que la complicité avec l’ennemi. À ceux qui redoutent les conséquences de la conquête dans le sud, on peut répondre que la guerre civile des États-Unis n’est qu’une guerre de principes et n’est pas une guerre de nationalités. Dès que les intérêts qui se groupent autour de l’esclavage seront vaincus, dès que l’institution servile cessera d’être une grande force politique du nouveau continent, rien ne séparera d’une manière définitive les populations aujourd’hui rivales. L’esclavage a mis longtemps comme une;barrière infranchissable entre les régions fécondées par le travail libre et les territoires livrés au travail servile. Cette barrière renversée, le courant de l’émigration se portera vers les belles provinces du sud au lieu d’avancer vers les Montagnes-Rocheuses; le bas prix des terres retiendra plus d’un soldat dans les pays où l’auront conduit les hasards de la guerre. Le sud sera vaincu; mais du même coup il sera transformé.

On me permettra de citer encore sur ce point l’opinion exprimée par Emerson dans un discours tenu à Boston il y aura bien tôt un an. Philosophe et poète, il a les deux sens cachés qui permettent à quelques âmes privilégiées de lire dans l’avenir. « On ne se rend pas bien compte, surtout à l’étranger, des nécessités qui ont dicté la conduite du gouvernement fédéral. On dit que notre succès est impossible. — Vous ne pouvez, nous dit-on, obliger huit millions