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LA
FAMILLE DU DOCTEUR
SCENES DE LA VIE DE COMTE EN ANGLETERRE.[1]

….. Il y a aujourd’hui un an, jour pour jour, heure pour heure, que je suis sorti de la petite maison de Grove-Street, le désespoir au cœur, m’avouant que j’étais un lâche et me disant en même temps que j’avais parfaitement raison de ne pas épouser Bessie Christian. Que serions-nous devenus, bon Dieu ! elle, avec ses deux vieux parens, que toute son économie et tout son travail faisaient vivre à peine, et moi, jeune médecin encore inconnu, en quête d’une clientèle douteuse, n’osant pas même me parer du titre de docteur, que j’ai légitimement acquis, pour ne pas effrayer les malades par la perspective de payer mes visites au taux réglementaire d’une guinée ? La lutte, déjà bien difficile pour moi, que je soutiens à Carlingford contre l’influence acquise, la réputation faite du docteur Marjoribanks, serait devenue littéralement impossible. Ce vieil Écossais arriéré, avec son ignorance méticuleuse, sa simplicité rusée, sa fausse bonhomie et cette tabatière d’or où il puise sans cesse, a conquis de par la puissance de l’habitude le patronage de Grange-Lane, notre vieille rue aristocratique, et c’est tout ce que je puis faire que de me maintenir pour ainsi dire en dehors de ses

  1. Le groupe de récits auquel nous empruntons cette étude de la vie anglaise (Chronicles of Carlingford, 2 vols., W. Blackwood and sons, Edinbursh and London 1863) a obtenu au-delà du détroit un succès que l’on trouvera sans doute légitime après avoir lu la Famille du Docteur. Dans le cadre où nous resserrons la pensée du conteur anonyme, on reconnaîtra, nous l’espérons, toutes les qualités qui l’ont rendu sympathique, et que ce travail a pour but principal de faire ressortir.