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esclaves fugitifs. M. Lincoln n’appela pas seulement autour de lui les hommes d’état de son opinion ; il fit une large place aux démocrates qu’enrayaient les excès de leur propre parti, et qui, en face de la guerre civile, sentaient le besoin de fortifier l’autorité fédérale. Il ouvrit surtout une oreille attentive aux conseils des représentai des états frontières, qui, placés entre le nord et le sud, semblaient naturellement appelés à opérer un rapprochement entre les intérêts hostiles. Le secrétaire d’état, M. Seward, l’homme d’état le plus important du cabinet, appuya de son influence cette politique conciliatrice. Esprit froid et sans passion, cachant de profonds desseins sous une apparente indifférence, trop habile pour ôter toute espérance à ses ennemis politiques, il fit toujours entendre dans les conseils du président la voix de la prudence et d’un patriotisme qui avait bien deviné que l’Europe ne resterait pas une spectatrice tout à fait désintéressée des commotions du Nouveau-Monde. Toutefois les passions du sud se montrèrent intraitables : l’ardeur et les difficultés de la lutte usèrent par degrés la patience du nord. Les républicains furent contraints de contracter une alliance de plus en plus intime avec les abolitionistes. Le lien vivant qui, dès le principe, unit ces deux partis fut M. Charles Sumner, le célèbre sénateur de Boston, qui naguère avait failli payer de sa vie le courage qu’il avait déployé en défendant le Kansas contre l’avide ambition des maîtres d’esclaves, et que M. Lincoln s’était hâté d’appeler à la présidence du comité des affaires étrangères à cause du prestige de son nom et de ses grandes connaissances en histoire et en droit international. La situation de M. Sumner était depuis longtemps trop considérable pour qu’il s’asservît entièrement à un parti. Il n’avait jamais caché ses sympathies pour les abolitionistes à l’époque même où ceux-ci souffraient les plus grandes disgrâces. Sans partager toutes les vues de Garrison, de Wendell Phillips et de leurs amis, il les aimait, les respectait, et reconnaissait en eux les guides intellectuels et comme les lumières morales de la république. Ceux-ci avaient, dès le premier jour, compris la véritable issue de la guerre civile : la sincérité de leurs croyances, dont ils avaient fourni tant de preuves, l’énergie de leurs convictions, cette clairvoyance particulière que donne seule la grandeur morale aux époques où les sociétés humaines sont bouleversées par les révolutions, leur assurèrent bientôt une autorité nouvelle, et leur alliance devint d’un prix inestimable. Néanmoins le rapprochement ne s’opéra pas en un jour : parmi les représentans civils et militaires de la nouvelle administration, beaucoup refusaient de tendre la main à un parti si longtemps persécuté et condamné aux mépris de la foule. Lorsque la guerre commença, M. Lincoln interdit la reddition des noirs fugitifs. Le