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La plupart se sont montrés, avant la proclamation émancipatrice de M. Lincoln, les exécuteurs rigides et souvent cruels de la loi des esclaves fugitifs, même au milieu d’états rebelles. Politiquement, ils se sont alliés au parti démocratique, ils ont déclaré qu’ils voulaient rétablir l’Union en laissant à l’esclavage toutes les garanties dont il avait joui si longtemps; ces dispositions conservatrices et hostiles au gouvernement se traduisirent militairement en maintes circonstances par un système d’inertie, par une attitude expectante qui pendant longtemps firent croire à l’Europe que le nord était absolument impuissant.

L’ardeur de la lutte a échauffé par degrés les tièdes; la disgrâce a frappé les uns et l’ambition a séduit les autres. L’esprit de West-Point a été d’ailleurs comme noyé dans le patriotisme des volontaires. A l’appel du président, les armées sortirent en quelque sorte du sol. Les juges compétens n’ont pas épargné les reproches à ces « baïonnettes intelligentes : » ils ont critiqué la mauvaise organisation de ces troupes improvisées, leur indiscipline; ils les ont trouvées trop coûteuses, trop dépourvues de ce que l’on nomme l’esprit de corps, trop irrespectueuses envers leurs chefs; ils ont accordé en général toute leur admiration aux armées plus mobiles et plus disciplinées du sud. Cependant le soldat-citoyen du nord a montré qu’il savait se battre et mourir comme ses ennemis, et la responsabilité des défaites subies par les fédéraux en Virginie ne doit, en bonne justice, retomber que sur les généraux et sur les ministres qui ne leur ont pas toujours prêté un concours intelligent. En présence de ce qui a été accompli en deux années par les armées fédérales, il est impossible de nier que l’Américain ne possède les qualités qui font les grandes nations militaires. Ce ne sont pas seulement, comme la calomnie l’a prétendu, les émigrans irlandais et allemands qui ont rempli les cadres tant de fois décimés des armées du nord : il est à peine une famille américaine qui ne porte le deuil de l’un de ses membres. On a vu des jeunes gens s’arracher à toutes les jouissances de la fortune pour aller périr obscurément dans les marécages du Mississipi ou dans les forêts désertes des Alleghanies. Les Adams, les Jay, tous les noms historiques des États-Unis, ont quelque jeune représentant dans les rangs de l’armée nationale. La guerre civile a dévoré des milliers de volontaires avant que le gouvernement fût obligé de recourir à la mesure de la conscription, ce qu’avait fait dès le premier jour le cabinet de Richmond. Peu de gouvernemens en Europe eussent été en état de mettre sur pied d’aussi nombreuses armées en aussi peu de temps, et après de tels efforts nul symptôme d’épuisement ne se manifeste encore dans le nord. Le travail de la grande démocratie américaine n’est ni interrompu ni même diminué, et bientôt 300,000 hommes vont aller