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Nous croyons avoir montré, dans un sincère esprit d’équité, tout le bien produit par l’administration actuelle, et signalé avec ménagement les lacunes et les dangers que peut présenter sa gestion. Selon nous, ces dangers sont tout entiers dans la situation omnipotente faite au préfet de la Seine, et l’on nous permettra d’insister en finissant sur l’étrange anomalie qu’offre ce pouvoir absolu et sans contrôle avec le degré de civilisation où nous sommes parvenus et l’importance des intérêts qu’il gouverne. Le budget de la ville de Paris est plus élevé que celui de toutes les monarchies secondaires de l’Europe, et il atteint presque à la moitié du budget de l’Espagne. Tous les états secondaires, qui en étendue et en population dépassent de beaucoup la capital de la France, jouissent d’un gouvernement représentatif. Paris est gouverné par un seul homme, dont les volontés s’exercent, sinon sans aucune subordination hiérarchique, du moins sans contestation sérieuse, puisque le conseil municipal siégeant à côté de lui est en fait nommé sur sa présentation, et que le décret de 1861 a soustrait la plupart de ses décisions à l’approbation du ministre de l’intérieur, son chef immédiat. La prospérité s’étonnera sans doute qu’un tel régime ait été si longtemps imposé à une telle ville. Une pensée qui peut prêter à des appréciations bien diverses semble avoir présidé à cette concentration de pouvoirs, c’est l’idée de faire de Paris plutôt une ville européenne qu’une ville française. Or, par cela même que Paris aspire à un pareil rôle, il a dépassé comme centre social et comme foyer d’industrie les proportions réclamées par les besoins de la France seule. Des masses d’ouvriers nomades absorbent l’élément parisien et constituent un danger permanent pour le repos de la France entière par la mobilité de leurs sentimens et les exigences de leurs intérêts. Sans vouloir donc amoindrir en rien la grandeur du but poursuivi, il faut en signaler les dangers et chercher à en atténuer la gravité.

Pour arriver à ce résultat, pour concilier avec le rôle extérieur auquel Paris est appelé son rôle intérieur : c’est d’introduire à côté du pouvoir exclusif et hardi du dépositaire de la pensée impériale le pouvoir modérateur des représentans de la ville librement élus, et de donner dans la composition même de cette représentation non-seulement la voix des intérêts démocratiques des masses industrielles, mais encore aux intérêts de toute sorte d’un élément essentiellement stable, — la bourgeoisie parisienne. Il faut en un mot, une modification de la législation de 1855 dans le sens de la loi de 1834. Avec des représentans élus, aucun doute ne pourrait s’élever contre l’utilité, quelque rapide qu’en fût l’exécution, des plus vastes entreprises. Le juste sentiment des besoins locaux servirait de contre-poids aux